Une main gratte quelques accords sur une guitare sèche. Un générique discret pour une dernière balade dans l'Ouest. "Rio Lobo" n'est pas une itération de "Rio Bravo" ou "El Dorado". "Rio Lobo" est une variation thématique, une nouvelle partition dont quelques couplets nous semblent familiers. Au coeur de ce dernier volet d'une trilogie amorcée en 1959, John Wayne accompagné d'un bel embonpoint, enfile une dernière fois sa chemise pour l'un de ses réalisateurs fétiches. Le temps a passé mais le plaisir demeure. Au dehors, le nouvel opus de "Howard Hawks" est une relique du passé qui se confronte à un courant cinématographique sans pareil. Au dedans, il aborde avec sérénité la fin d'un système de production, accorde le pardon, injecte de l'humour, desserre les enjeux et créer inconsciemment le film matriciel des franchises Hollywoodiennes.
Les derniers adieux
"Rio Lobo" refuse de se battre sur le terrain de la modernité. C'est incontestable. Mais "Howard Hawks" a-t-il pensé une seule seconde à la mutation du cinéma américain lorsqu'il a débuté la pré-production de son film en 1969 ? A l'instar d'un "Hitchcock" malade lors du shooting de "Complot de famille", "Hawks" semble se foutre totalement de la récupération de son vieil Ouest par de plus jeunes générations qui ne jurent que par le non conformisme et/ou l'ultra violence. De plus, en 1970, les cadors du Nouvel Hollywood avec à leur tête Arthur Penn, s'installent confortablement et réinvestissent les genres les plus divers. Cerné par le second âge d'or de la capitale du rêve qui impose coup sur coup "La horde sauvage" et la fresque "Little big man", "Rio Lobo" trace tranquillement sa route sans se soucier que dans les studios d'à côté, le cinéma a pris une ampleur inconsidérée. Dans cette enveloppe classique qui rappelle le parfum des superbes véhicules de stars des fifties, le geste de "Hawks" est d'une humilité incroyable. Qu'importe le jeu fiévreux et réaliste de Dustin Hoffman, John Wayne continuera de gonfler du buffet et dégainera le six coups comme dans "Rio Bravo" au côté d'un jeune hotshot. Immobilisé dans sa bulle temporelle et immortalisant un fantasme argentique d'autrefois, le dernier Hawks cadre à nouveau quelques décors bien connus, embrasse les mêmes figures légendaires à quelques exceptions près... "Rio Lobo" réinvente "Bravo", contourne "El Dorado", gomme la figure de l'ivrogne au profit d'un troisième personnage féminin, revient sur un morceau de l'histoire américaine tout en offrant une alliance entre yankees et confédérés. "Lobo" est l'image d'une Amérique sereine et réunifiée prête à bouter hors de ses terres les traîtres à la nation. Derrière "la dernière mission", biscuit du spectateur, ce western à l'ancienne pardonne les cruautés de la guerre de Sécession. "Peckinpah" et "Penn" déterrent la hache, "Hawks", avec le sourire, l'enterre plus profondément encore.
La matrice Hollywoodienne de la vieillesse
Si l'on espère une tonalité semblable à celle de "Rio Bravo" ou le sens du spectacle de "El Dorado", il faudra de toute manière repasser. "Lobo"ne sera jamais de cette trempe. Tout en conservant l'armature scénaristique et les archétypes du genre, la saveur sera différente. L'investissement en demi teinte de "Hawks" se fait ressentir. Après un prologue ferroviaire excitant, le film accuse un sérieux ventre mou jusqu'à mi-parcours. "Wayne" et "Rivero" jouent des muscles et des zygomatiques pour maintenir la baraque en place. Le réalisateur du "Grand sommeil" veille mais la niaque est moins visible à l'écran. Est-ce si préjudiciable de voir un vieux Maître en perte de vitesse jouer une dernière fois avec ses soldats de plomb ? Oui si l'on refuse de voir ses icônes vieillir. Oui si l'on tire son plaisir de l'équilibre parfait des opus précédents. Non si l'on accepte de se balader avec des vieux potes bien moins vaillants. Les rides ont ce pouvoir de forcer le respect. Et si la force de frappe n'est plus aussi présente, pourquoi ne pas proposer quelques substituts ? "Lobo" en est donc là à exposer son John Wayne parfois doublé lors des scènes d'action ou à étaler son classicisme technique. Même punition pour les saillies humoristiques dont les éclats paraissent plus grossiers. "Lobo" se livre tel qu'il est sans paillettes et taillé à la serpe mais sans mensonge aucun. Inconsciemment, "Hawks" aura livré la formule du second souffle aux franchises à venir. Les deux derniers volets d'Indiana Jones arborent cet esprit de décontraction et parlaient en filigrane de la vieillesse à venir. Le tout sur un fond historique beaucoup plus marqué que les volets précédents. Tout comme la saga "L'Arme fatale" dont le quatrième volet poussait les potars de l'humour dans ses derniers retranchements avec la reconsidération de la forme physique de Riggs bien incapable de faire fasse à un expert en Arts martiaux. Aucun doute, l'ADN de "Rio Lobo" est en chaque sequel.
"Lobo" l'avait chuchoté tendrement à l'oreille du spectateur, "Howard Hawks" et "John Wayne" étaient déjà trop vieux pour ses conneries. La valeur de ce "Rio" est plus symbolique que pleinement artistique. Mais qui n'accepterait pas une dernière chevauchée avec "le Duke" ?