« Qui ose traverser les grands fleuves ne craint pas les petites rivières. »

Le cinéma offre une diversité étonnante : diversité des genres, des techniques, des histoires racontées, des jeux d'acteurs, et surtout des émotions qu'il éveille chez le spectateur. Et parfois, on aime un film sans pouvoir se l'expliquer ; on a coutume d'appeler cela « coup de cœur », pour signifier ô combien la raison ne saurait trouver le pourquoi du comment de son admiration. Mais on l'aime, ça c'est certain, et on voudrait que tout le monde partage ce sentiment quasi-magique. C'est mon cas avec Rivière sans Retour, chef-d'œuvre d’Otto Preminger qui m'est tombé sur le coin de la tête un jour où je ne m'y attendais pas le moins du monde. Je me souviens, j'avais lancé le visionnage un peu au hasard, entre deux choses à faire, notamment parce qu'il ne durait qu'une petite heure et demie. Un choix par défaut inspiré, faut-il croire. Depuis, impossible de me sortir ses images et ses musiques de la tête – et j'écoute la bande-son très régulièrement tant elle est réjouissante ! –, qui me rappellent tout le bien que me fait ce film aux ondes positives véritablement thérapeutiques. Telle la rivière sur laquelle vont s'aventurer les protagonistes, à mon tour de vous faire apprécier la descente de ces quelques lignes.


Avant même de s'aventurer dans les eaux cinématographiques de l’œuvre à proprement parler (oui, je vous préviens, je compte filer la métaphore), on ne peut qu'être intrigué et stimulé par un tel casting : Robert Mitchum et Marilyn Monroe, réunis pour le meilleur et pour le pire sur une surface de 5m², épaulés par le jeune et attachant Tommy Rettig. Un trio d'enfer aussi adorable qu'héroïque, au caractère bien trempé mais surtout au (très) grand cœur. Comment ne pas aimer ces personnages si charismatiques, sincèrement ? Rien que leurs visages angéliques donnent le sourire ! On se demande comment ceux-là pourraient faire du mal à une mouche, malgré les airs de gros durs qu'ils aiment à se donner, pour mieux se « tester » et finalement mieux s'aimer. Et puis, si vous n'êtes toujours pas convaincus, pensez à Marilyn habillée en pin-up de l’Ouest et jouant de la guitare au coin du feu. C'est tout de suite plus attirant, je sais. Mais je dérive.


Dès les premières secondes, on est scotché à sa chaise par la chanson très entraînante de Tennessee Ernie Ford , intitulée sobrement « River Of No Return ». Cette musique, chantée par une voix masculine et grave, vous trottera dans la tête un bon moment jusqu'à ce que la voix sensuelle de Marilyn ne se l'approprie et ne la sublime. Le film s'ouvre sur un homme coupant du bois qui remonte sur son cheval, dans une prise aérienne dévoilant l'immensité et la beauté des plaines forestières américaines de la fin du XIXe, au milieu desquelles coule une rivière bleu azur. Matt Calder (Robert Mitchum) arrive dans un campement pour y récupérer son fils qu'il n'a jamais vu, Mark, avec qui il s'installe dans une modeste maison isolée non loin du cours d’eau. Alors qu’un voyou, à savoir le détestable Harry Weston (Rory Calhoun), accompagné de sa femme Kay (Marilyn Monroe), tente de le voler, une bagarre éclate et Matt en sort inconscient. Le perfide Harry part alors pour la ville y récupérer un paquet d'or, tandis que Kay reste auprès de Matt en l'attendant. Mais rapidement, les indiens se montrent hostiles et forcent nos trois personnages à s’enfuir pour gagner la ville. Pour cela, le plus court chemin est la rivière, fût-elle aussi la voie la plus dangereuse. Une fois embarqué, notre trio d'infortune devra surmonter moult péripéties, allant des courants déchaînés aux attaques d'indiens plutôt agressifs, en passant par les bandits de grands chemins.


L'histoire n'a rien de très original, j'en conviens, et le dénouement n'en sera que plus prévisible. Mais qu'importe, le but du film n'est pas là : c'est un film thérapeutique, comme je le disais, en ce qu'il dégage une formidable douceur, des bonnes intentions, de la bonne humeur et une certaine naïveté qui rend ses protagonistes terriblement attachants. Le tout saupoudré de musiques inoubliables et d'effets spéciaux très simplistes mais jamais ridicules, et qui participent à cette ambiance authentique et souvent enchanteresse, comme pourrait l'être un conte. D'ailleurs, Rivière sans Retour est le film parfait pour les enfants, pour les soirées en famille où l'unique but est de passer un agréable moment devant sa télé. Se cramponner à l'accoudoir du sofa lorsque l'un des personnages risque de tomber et d'être emporté par le courant ; esquisser un sourire complice en écoutant les joutes verbales de ce trio inattendu ; et puis se féliciter de leur rapprochement progressif. Rivière sans Retour est une ode à la rencontre avec l'autre, témoignant de la difficulté des relations entre un homme et une femme, mais surtout entre un père et un fils admiratif à la soif d'apprendre. Tout est là. La descente éprouvante de la rivière en est la parfaite métaphore : après une telle aventure qu'est la vie, tous les petits différends du quotidien paraissent bien futiles.


Jamais violent pour les plus jeunes, arborant toujours cet esprit d'aventure qui captivera assurément les plus grands, Rivière sans Retour est un film d'une grande générosité. Loin d'être révolutionnaire, il n'en demeure pas moins marquant par ses personnages hauts en couleurs et ses musiques inoubliables. Entre le charisme viril d'un Mitchum au meilleur de sa forme et la beauté éblouissante de Monroe, tout le monde y trouvera son compte. Scènes de chant, danses séductrices et péripéties haletantes font de ce western familial une aventure pleine de vie, de bonté et de sincérité pour l'un des films que j'aime le plus à conseiller. Car si la vie n'est pas un long fleuve tranquille, la rivière sans retour vous portera au gré de flots pelliculés tumultueux qui, au fond, vous feront nager en plein bonheur avec une grande sérénité. Et je vous promets qu'après une telle descente, vous n'aurez qu'une seule envie : remonter.



If you listen you can hear it call…
There is a river called the river of no return
Sometimes it's peaceful and sometimes wild and free !
Love is a traveler on the river of no return
Swept on forever to be lost in the stormy sea



Where the roarin' waters fall wail-a-ree
I can hear my lover call « come to me »
I lost my love on the river and forever my heart will yearn
Gone, gone forever down the river of no return



Wail-a-ree, wail-a-ree
He'll never return to me !


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le 15 oct. 2017

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Jules

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