Cette représentation 'libre' du (réel) Robin des bois écossais a eu le tort de sortir dans la foulée de Braveheart. Elle manque peut-être un peu d'ampleur pour devenir un classique populaire, n'est pas si épique alors que tout s'y prête, ne contient pas tant de rebondissements. Mais elle a les distinctions essentielles : des paysages sublimes, des conflits omniprésents (et transversaux), puis surtout des personnages géniaux. Et une tension entre le goût du gras, la transgression, les appétits cyniques versus la droiture, la fierté, la vie pure des 'simples d'esprit' [qui ne connaissent de troubles qu'en-dehors d'eux-mêmes].
Je vois dans ce film quatre individualités parfaites – dont deux salauds pour un héros. Les voici par ordre de qualités morales, quoiqu'à l'écart de la lumière le classement devienne compliqué. Au passage, j'exclue le marquis de Montrose joué par John Hurt ; primordiale dans la hiérarchie britannique, voilà une enflure quelconque, qui a le luxe de ne pas avoir à s'impliquer ni d'être atteint. C'est simplement le visage de l'establishment, sans gloire ni beauté – on peut admirer son prestige, ses possessions, mais lui-même n'inspire au mieux que de la crainte.
D'abord, Rob Roy, leader et rebelle, alpha magnanime : c'est un idéal humain probablement universel. Il met tout le monde d'accord, les hommes le respectent, les petits garçons veulent lui ressembler, ses adversaires méprisent ses choix et préférences mais savent que dans un jeu strictement méritocratique, ils perdraient face à lui. Authentique et incorruptible, il incarne le feu sacré de l'hétérosexualité révolutionnaire - même le marxistoiide conséquent en a le souffle coupé. Et le film insiste, pendant le premier acte. Il aurait mieux valu Jennifer Connelly tandis que Jessica Lange serait meilleure en reine mère (et a été plus 'séduisante' en nonne hargneuse dans American horror story), mais admettons.
Au deuxième rang nous trouvons le vénérable Duc d'Argyll. Ce n'est pas encore une ordure, mais l'odeur monte jusqu'à lui. Aristocrate introllable et revenu de tout, il manie aussi bien la punchline grivoise que le jugement éclairé. Il côtoie la saleté du monde sans y participer, ou au minimum toléré par son sens de l'honneur et de la parole donnée. Il ignore la mesquinerie, mais n'est pas aussi valeureux que notre Rob Roy et ne sera donc jamais récompensé comme lui par le sort. On le voit dans son château avec ses lévriers écossais, ses domestiques ; c'est un monde froid, digne, puissant mais manquant d'éclat et de vie – il risque la stérilité et la moisissure, tandis que Rob Roy avec sa nature profuse souffrira et triomphera franchement. Être affilié à un seigneur de ce calibre est, au pire et en relatif, pas infâmant ; c'est plus classe que d'être le citoyen d'une république soviétoiide dirigée par des ventripotents et des camés. Mais notre Duc bien-aimé reste un angloiide emperruqué, un manoeuvrier comme ses camarades – parcimonieux contrairement à eux.
Puis voici le connard terminal, le méchant extravagant qui aurait pu rendre ce film culte. Archibald Cunningham a le souci de déplaire, tue gratuitement un chien, aguiche, jette et viole les femmes ou les garçons, en toute décontraction. Efféminé grotesque à la virilité impétueuse, il prend tout le monde en duel et engrosse tout sur son passage. Vous en avez assez des woke au cinéma ? Il se joindra à vous en regrettant l'existence de ces témoins de l'abandon de Dieu... avant de vous embrocher quelque soit votre nature (et vous rendre positif à toutes sortes de tests embarrassants) ! Tim Roth a donné un visage aux héros des Onze milles verges. Comme Rob Roy il laissera une légende derrière lui – et des héritiers, probablement marqués par la honte. Comment ne pas l'aimer, sinon aimer le détester... comment ne pas se régaler de son ignominie tout en la condamnant fermement !?
Killearn évidemment n'est pas si truculent mais il a un charme fou – le charme que peut avoir une incarnation de la purulence à l'enveloppe présentable (Brian Cox) et, finalement, même dans ses grandes démonstrations de lâcheté, toujours un semblant de générosité, de prévenance ou au moins de candeur (la maladresse « Ils disent que ce n'est pas un péché s'il n'y a pas de plaisir » témoigne de sa bonté, pervertie par le fatalisme et la fréquentation de la laideur humaine). À l'opposé des aristos, il se jette dans le monde avec toujours une issue de secours à l'esprit et sait qu'il faut se souiller pour prospérer. C'est un exécutant qui manipule l'argent, son ultime maître – il n'a pas les dispositions pour les inhibitions chrétiennes et autres niaiseries. Ses scrupules ne sont que pragmatiques, il ne se sacrifiera jamais pour personne, mais il n'est pas vicieux comme Archibald ou mesquin comme le marquis de Montrose. L'odieuserie d'Archibald et la bienveillance démocratique de Rob Roy se marient en lui. Il est presque aussi tendre que notre héros, mais avec un sens minimaliste des responsabilités pour son prochain, alors que c'est tout ce qui guide Rob Roy – et empoisonne son quotidien, mais le libère aussi des tourments médiocres ou égocentriques.
Je trouve ces quatre profils formidables et j'aurais voulu passer encore des heures en leur présence. L'humain sinon parfait, au moins le plus inspirant, doit être leur fusion. Tous pourtant ont des positions insoutenables, hors-du-commun. D'abord, tout le monde ne peut être un leader, ni un héros, ni un saint. Et il serait si pénible de réaliser que le paradis n'est pas immunisé contre l'ennui... Ensuite, tout le monde ne saurait être un lord asocial tempéré. Être ainsi emmuré et obligé conduit à la mélancolie. Surtout, tout le monde ne saurait être un queer dégénéré. Le spectacle est trop exigeant ! Enfin, personne ne devrait être comme Killearn, ni ne le souhaiterait tant il est accablé de traits indésirables... en même temps c'est l'exemple le plus facile à suivre – c'est le mortel par excellence.
Droit et lumineux jusqu'au-bout, le film distribue à terme les justes récompenses, en accordant la rédemption à ma pourriture préférée tout en nettoyant le terrain. Le niveau de justice est si parfait que l'insupportable pleurnichard est lui aussi évacué – son obstination victimaire le pousse à implorer le pardon quand les autres souffrent par sa faute. Je ne suis pas comme Rob Roy ni les siens qui lui accordent spontanément ce pardon. C'est le problème des gentils à la bonté jamais prise en défaut – alors que les trois autres règleraient le cas de ce demeuré. Enfin, il faut bien éviter cette fusion parfaite des quatre caractères géniaux, sans quoi il n'y aurait pas de contrastes, donc de la valeur mais imperceptible – et pas de drames.
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