Ridley Scott est devenu une sorte de professeur référent d’histoire ancienne et médiévale là où Spielberg s’est installé comme maître de la chair d’histoire contemporaine à Hollywood. Gladiator revisitait le péplum dans un très bon film d’aventure pour peu que les amateurs d’histoire romaine soient assez sages pour pardonner le kilomètre de conneries factuelles. Même combat avec Kingdom of Heaven qui, outre ses facilités prises avec le récit de tout manuel de base sur les croisades, proposait en pleine Guerre d’Irak une approche ultra manichéenne de croisés sanguinaires, de musulmans éclairés, le tout encadré par la quintessence de la chevalerie de roman courtois alias Mister Legolas.
Ce Robin des bois vient conclure un tryptique historique oscillant entre scènes d’actions bien rythmées et pauses plus ou moins languissantes, assez beau quant à sa photo, sa réalisation soignée, et porté par une BO pompeusement zimmérienne, le tout visant à sublimer un héros parfait sous tous rapports. Autant dire que la première heure de ce Robin m’a donc conquis.
Crowe revient au pouvoir mais exit Maximus, vive Robin. Dès le départ, on nous apprend qu’on ne va pas rigoler : ce sera une leçon d’histoire. On est prévenu, on oublie les pantalons verts et Brian Adams, on zappe le supporter de l’OM tatoué qui fait chavirer les foules de jeunes filles en bandant son arc, on va découvrir le véritable Robin. Une approche historique qui reprend la mode démystificatrice entamée par le Troie de Petersen et poursuivi par le Roi Arthur en jupette sarmate campé par Clive Owen voilà quelques temps. Ces deux opus ont globalement échoué pour l’aspect historique, mais cette première heure Robinesque m’a plu. Ce n’est pas un héros transcendantal mais un mec assez ordinaire, qui essaie surtout de tracer sa voie dans une période sombre. La quintessence du Roi Chevalier qu’est Richard Cœur de Lion est un pauvre type au crépuscule de sa vie et sa mort est correctement abordée à travers ce pillage d’un modeste bastion et la main d’un modeste plouc de service. Jean est porté par un Oscar Isaac impeccable, acteur découvert pour ma part avec Agora et Drive et qui dégage quelque chose de vraiment intéressant. Bref, tout se passe bien, d’autant que j’aime ces pierres de cailloux, des navires de bois, ces armures de métal. C’est tout de même chouette, de passer autrement que par fond vert. Une première heure sympa donc, tenant globalement la route et présentant un Moyen-Âge ma foi digne des canons imposés par le carton des Piliers de la Terre et autres bâtisseurs de cathédrales.
Et puis, sournoisement, Scott avance ses pions. Le Français est perfide, cela va de soit. Cet enfoiré de roi Philippe qui se gave d’huîtres en bord de Seine va faire basculer l’histoire dans le drame absolu. Non de Zeus ; une invasion ? Il vient bien de parler d’invasion là ? Et voilà, patatra, Scott a basculé. Au diable la rigueur historique annoncée ; les enfoirés de frenchies vont servir de faire valoir au héros lors d’une invasion dantesque qui, dans les faits, n’a jamais existé.
Mode dessous des Cartes made in J.C.Victor on.
Philippe Aguste avait d’autres chats à fouetter avec ses barons et il allait devoir se taper une invasion du côté de Bouvines. Pour la petite histoire, les barons anglais feront bien appel au futur Louis VII de France pour les aider face à Jean sans Terre. Louis débarquera en 1216, ira jusqu’à Londres, qu’il prendra « finger in the nose ». Jean aura le bon goût de mourir avant d’être pulvérisé et les barons anglais offriront une belle indemnité aux Français pour qu’ils rembarquent.
Bref, revenons à nos moutons. Déformation professionnelle oblige, je m’écrase dans mon canapé en attendant le final. Ce dernier va bientôt m’exploser en pleine gueule, mais je suis loin de mesurer à quel point. Premier uppercut, le père de Robin est un philosophe tailleur de pierre qui n’a rien fait d’autre que de fonder sa petite communauté hippie en plein XIIè siècle et qui sera à l’origine de la Magna Carta imposée à Jean sans Terre. Vas-y Ridley, maintenant que tu es lancé, lâche-toi. En un quart de seconde, Robin devient un général que tous les barons suivent sans broncher alors qu’il ne le connaissait pas un jour avant. D’une de deux, Jean, au regard perfide, annonce qu’il accordera tout ; son sourire laisse deviner qu’il va entuber tout le monde à la fin. Bingo les Français trucident des pauvres civils anglais. Union nationale des barons pour l’Angleterre. Philippe arrive pour son invasion. J’écarquille les yeux : non, je ne rêve pas. Omaha Beach. Caméra empruntée à Spielberg – normal avec le recul, entre confrères historiens – et survol de barge de débarquement de 1944 mais, le vice est dans le détail, dont les moteurs ont été remplacés par des rames. Quitte à y aller, autant y aller à fond. Une armée d’invasion de quelques centaines d’homme, sans cheval, un débarquement assuré par des mecs incapables de surveiller les endroits exposés, une armée de secours anglaise ridicule, secondée par une amazone, Marianne, et un curé berserker gavé d’hydromel. Robin redevient Maximus, puis se fait sniper d’élite pour dessouder l’enfoiré de traître.
Conclusion dans le texte : ici commence la légende. Au moins il a été au bout de sa connerie et je respecte ça.
Parce qu’on passe un moment familial sympa, parce que la première heure est plutôt réussie, parce que je veux éviter de faire mon vieux con d’historien du dimanche, parce que la photo est jolie, j’ai décidé de laisser un 5. Mais, dans une dissertation, on demande toujours de soigner la conclusion ; il faut soigner sa sortie pour laisser une bonne impression et faire oublier les maladresses éventuelles. Et bien pour le coup, Scott, ce conseil, comme de l’Histoire en général, il s’en cogne. Une grosse production populaire qui vire au grotesque intellectuel mais dont les foules raffolent ; après tout, c’était une des recettes de Gladiator et il a chopé un Oscar alors vas-y Ridley, continue à pisser sur l’Histoire, on aime ça. Et puis merde. Marre de cautionner ces conneries. Alors ce sera 4.
Le pire ? Je ne suis même pas énervé : je garde ce basculement du côté obscur pour la prochaine critique : Baron Rouge …