Je ne ferai pas une critique détaillée, car j'ai vu le film en deux fois, mais il m'a profondément marqué. C'est sans doute un des chefs-d'oeuvre du néo-réalisme, de mon point de vue. A noter qu'il y a des acteurs français (Hanin, Delon, Girardot), ce qui fait hésiter sur la bonne version (italienne ou française ?).
On retrouve souvent, dans le cinéma italien, la volonté de sonder le ventre d'une ville. Ici, c'est Milan dont Visconti nous montre sa vision des quartiers populaires. On la découvre à travers les yeux d'une famille de cinq frères qui arrivent avec leur vieille mère d'Italie du Sud. Parmi ces frères, certains vont travailler chez Fiat et se ranger assez vite. Rocco, le plus mutique et simple, part pour l'armée, puis entame une carrière de boxeur pour aider Simone, qui tourne de plus en plus mal.
J'aurai du mal à être objectif, car au centre de ce film, il y a un très beau et tragique personnage de prostituée, Nadia, jouée par Annie Girardot. Une femme qui perd tout à cause des hésitations de Rocco et de son dévouement insensé pour son frère, qui tombe toujours plus bas, jusqu'à la conclusion tragique. Une sainte putain comme on en trouve dans de grands films américains comme le Party girl de Ray ou la plupart des films avec Gloria Grahame.
Le noir est blanc est pour une part très réaliste, avec une matérialité forte : on sent la texture de ces mûrs défraîchis où restent collés des morceaux d'affiche, de ces portes à sonnette de pressing minables, de ces petits intérieurs en demi-jour où l'on vit entassés les uns sur les autres. On sent la sueur rance des salles de boxe. Derrière ces détails, il y a la violence que la ville inflige au quotidien aux personnages, qui vont être marqués peu à peu, perdre leur vitalité simple de gars du Sud pour une vie plus lissée mais plus ambigue et bourrée de contradictions, engendrées par les tentations de la ville. Rocco et ses frères, à sa manière, est un hybride entre film social et film noir. Il n'y a que la fin qui laisse un peu en plan, on ne comprend pas trop pourquoi le film s'arrête.
Mais il y a aussi une volonté esthétique forte derrière, avec des plans oniriques et mémorables, comme celui sur le toît de la cathédrale, ou la dernière scène entre Nadia et Simone, incroyable, entre ce plan avec les formes noires des arbres qui se découpent, et celui de Nadia partant dans la profondeur de champ de la berge avec son manteau sur l'épaule. Visconti a donné tout ce qu'il avait au niveau visuel.
Le casting, comme toujours, est parfait. D'aucuns trouveront le jeu d'acteurs un peu stéréotypé : pour ma part, je trouve qu'il se justifie par la photogénie, pour laquelle les réalisateurs italiens sont si doués. Il y a une jeune Claudia Cardinale, ici peu présente, et bien sûr Alain. Mais là, n'ayant jamais compris ce qu'elles lui trouvent, je me tairai.
Rocco et ses frères est un film qui me remue jusqu'aux tripes. Si j'avais voulu faire du cinéma, c'est très certainement ce genre de film que j'aurais voulu faire. Un film social profondément ancré dans la réalité d'une ville, avec de brefs passages oniriques, pas appuyés, qui soulignent le destin tragique des personnages.