C'est avec une superbe version remastérisée que je découvre le sixième film de Luchino Visconti, mon deuxième après "Le Guépard", qu'il réalisa 1 an plus tard. Fondamentalement ancré dans le néo-réalisme italien, "Rocco et ses frères" livre une tragédie familiale hors-norme - qui n'est pas sans rappeler à certains égards "Le Parrain" de Coppola ou "Ragging Bull" de Scorcese - sur fond d'exode rural d'une famille du sud de l'Italie dans les taudis de la capitale lombarde.
D'une durée de 3 heures, le film ne souffre d'aucune lenteur. Le scénario est habillement découpé en chapitre et fait naviguer le spectateur à travers les différents membres de la famille Parondi : Simone (effroyable Renato Salvatori), Rocco (Alain Delon, touché par la grâce), Ciro et Luca (tous les deux plus à l'écart). Vincenzo, le cinquième frère et ainé est quant à lui bien plus discret, il est installé et marié à Ginetta (Claudia Cardinale). Ainsi, le point de départ de l'histoire est relativement simple : La famille vient de s'installer à Milan, tous les frères cherchent du travail. Simone devient boxeur au club du quartier et vise une carrière professionnelle. Mais celui-ci tombe amoureux de Nadia (incroyable Annie Girardot),une jeune prostituée de 25 ans qui ne l'aimera jamais. Cette dernière tombera finalement amoureuse de son frère Rocco, celui-là même qui se montrera bien plus habiles les gants en main sur le ring, entrainant alors Simone dans une colère noire des plus sordides, mais refusant tout affrontement avec son frère. À ce titre, une terrible scène censurée et réintégrée à cette nouvelle version constitue le point de bascule du film.
Mais réduire le film à cette opposition entre les deux frères c'est faire fit de la maestria cinématographique de Visconti. Ainsi, au prisme de cette histoire a priori manichéenne, le réalisateur explore une pluralité de thèmes sociaux et politiques : le déracinement d'une famille du sud au nord de l'Italie, les conditions de vie du prolétariat industriel, l'ambition, l'honneur familial et l'espoir de l'ascenseur social. Un paysage de violence sociale dans lequel s'oppose l'infinie tendresse de l'un à la brutalité inouïe de l'autre. Sublimé par une photographie magistrale et un noir et blanc parfaitement équilibré et restauré, le film déploie une succession de cadres photographique d'une extraordinaire beauté et complexité (Les plans sur Salvatori et Girardot dans leur étreinte ou encore de Delon et encore Girardot sur le toit du Duomo de Milan sont parmi les plus beaux du film). Pour que le tableau soit total et en point d'orgue du génie de Visconti s'ajoute la nostalgie de la terre, du village, du "pays des oliviers", dont Rocco rêve d'un retour et dont les songes sont d'une grande sensibilité.
In fine, "Rocco et ses frères" est un chef-d’œuvre du néo-réalisme italien, un film-somme d'une profonde richesse et qui n'en finira pas d'émerveiller celles et ceux qui s'aventureront à le découvrir.