La naissance d’un mythe. Ou quand la volonté d’un homme s’est retrouvée transposée à l’écran pour donner naissance à l’une des histoires les plus célèbres et inspirantes du cinéma. 45 ans après sa sortie, Rocky est devenu une référence, mais cet énorme succès était loin d’être garanti à l’époque.
Avant que le public ait pu découvrir l’histoire de ce modeste boxeur amateur de Philadelphie sur grand écran, il a fallu à Stallone l’inspiration et l’abnégation pour mener son projet à bien. C’est un match opposant l’illustre Mohamed Ali à l’inconnu Chuck Wepner qui donna l’idée à Sylvester Stallone, alors présent dans le public, d’écrire une histoire s’en inspirant, après avoir vu ce type venu de nulle part aller jusqu’au 15ème round face au champion en titre. Quand l’acteur, qui n’a pas encore de véritable référence notable dans sa filmographie, prend contact avec deux producteurs avec qui il était déjà en pourparlers, il lui a fallu les convaincre de lui confier le rôle principal. Ce qui fut difficile quand les producteurs voulaient des stars, mais Stallone tint bon, sentant que c’était sa chance. Et il a eu raison.
Rocky, c’est avant tout une grande modestie. Ce sont ces rues des quartiers pauvres de Philadelphie, où évoluent les désœuvrés, notamment ce jeune homme costaud mais un peu gauche, qui fait des petits boulots ingrats afin d’extorquer de l’argent à des inconnus pour le compte d’un petit gangster. C’est aussi un boxeur de l’ombre qui se bat dans des arènes clandestines pour tenter de toucher quelques petits billets qui lui permettent de joindre les deux bouts. Le film s’ouvre ainsi, en plein combat de boxe sous le regard d’un portrait du Christ, devant un public souvent hostile. Rocky montre ainsi directement la boxe comme étant le sujet principal du film, mais ce ne sera pas véritablement le cas. Dans la lignée d’une frange importante des films américains des années 70, Rocky vient illustrer un certain échec de l’idéal du rêve américain, mettant en lumière la pauvreté et des personnages modestes dans leur quotidien, avant de faire entrer la lumière et raviver l’espoir.
Comme beaucoup de ses connaissances, Rocky subit la situation, il s’adapte, mais contrairement aux autres, il va avoir le choix. Habitué à son quotidien de boxeur des bas-fonds, il prend l’opportunité d’Apollo Creed sans véritablement se rendre compte des bénéfices qu’elle pourrait lui apporter. Ce sont ses proches, notamment Mickey et aussi Adrian, qui vont lui faire prendre la mesure de l’occasion. En effet, autour de lui, tout le monde a déjà baissé les bras. Paulie vit d’un boulot dont il se fiche, sombre dans l’alcool et ne peut plus s’exprimer que par la violence. Adrian, elle, subit ce quotidien et ne parvient pas à s’épanouir. Quant à Mickey, il se remémore son passé avec nostalgie mais est aussi confronté à son propre échec, qu’il impute notamment au fait qu’il n’avait pas eu de manager, de personne pour le pousser au sommet quand il pouvait y prétendre.
C’est parce que Rocky menace de suivre le même chemin que Mickey va tout faire pour le mener à saisir sa chance et à la jouer comme il se doit. Pour Rocky, ce sera l’occasion de se transcender, non seulement pour lui, mais aussi pour ceux qui l’entourent, sa vie ayant désormais trouvé un nouveau but. Un chemin qui ne sera pas simple, à l’image de ce tout premier footing matinal qui n’est pas encore accompagné par le célèbre Gonna fly now et qui s’achève avec un Rocky redescendant aussitôt les fameux escaliers, complètement essoufflé, à peine après être arrivé en haut. Jusqu’alors moyen permettant à Rocky de survivre, la boxe devient pour lui un moyen de vivre, d’exister, de ne plus être une ombre qui sillonne les rues des quartiers défavorisés de Philadelphie, mais bien un homme accompli, capable de prouver aux autres qu’il a sa place dans le monde.
Rocky a pour grande qualité d’être proche de ses personnages, de leur accorder du temps pour s’exprimer et donner du relief. Chacun a un rôle bien défini, mais c’est ce qui permet de créer ce microcosme très évocateur et auquel le spectateur peut s’attacher. Cette authenticité permet de donner une dimension réaliste à cette histoire qui, si son événement central paraît complètement improbable, prend tout son sens dans son traitement. Ici, l’objectif devient secondaire, peu importe la victoire, c’est le chemin qui y mène qui est intéressant, avec cette prise de conscience et cette émancipation, avec la réussite de Rocky, qui déborde également sur ses proches, qui évoluent tous avec lui. Tout cela mène ainsi à ce combat final, rude et intense, dont l’issue, surprenante mais loin d’être frustrante, parachève cet accomplissement, qui ne nécessitait pas d’or ni de gloire, simplement un dépassement de soi et la solidarité pour être possible.
Véritable clin d’œil du destin, le succès de Rocky sera aussi celui de Sylvester Stalllone. Le petit film tourné en un mois à peine avec des moyens dérisoires se présentera à la 49ème cérémonie des Oscars avec par moins de 10 nominations, dont celles de meilleur acteur et meilleur scénario original pour Stallone, qui rejoint ainsi un club très fermé auprès de Charlie Chaplin et Orson Welles, et raflera notamment le prix du meilleur film aux Hommes du Président, Network et Taxi Driver, entre autres, rien que ça. Rarement la fiction aura autant rejoint la réalité, et on a envie de gravir des montagnes à l’ouïe de la musique de Bill Conti, élément essentiel dans la réussite de Rocky et dans son identité. Gonna fly now !
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art