Moins de deux ans après la sortie de Godzilla, Ishiro Honda revient déjà au film de monstre, le kaiju-eiga, non pas pour donner une suite à son gros lézard (Motoyoshi Oda s’en étant très mal occupé à sa place) mais en tentant de nouvelles choses, formellement et narrativement.
Bon, narrativement c’est un échec. D’une part, il faut attendre la moitié du film pour voir apparaître Rodan, qui est quand même la promesse dramatique du film. D’autre part, la première moitié se concentre sur des larves géantes, mais géantes pour elles-mêmes car elles ont une taille à peine plus grande qu’un humain. Honda joue donc sur deux registres, à la fois la réduction de la menace (qui la rend plus sournoise, puisqu’elle peut se cacher, et peut aussi proliférer plus facilement) et le déplacement de celle-ci vers un autre terrain de jeu avec Rodan, c’est-à-dire le ciel. Sauf qu’avec un scénario écrit avec les pieds d’un cul-de-jatte et un casting viscéralement médiocre (Kenji Sahara Akihiko Hirata, deux acteurs qui vont tellement gangréner le kaiju-eiga qu’ils en deviendront indissociables), ben les meilleures volontés de Honda tombent une fois encore à l’eau.
C’est d’autant plus triste que, visuellement, Honda et son fidèle acolyte aux effets spéciaux Eiji Tsuburaya approfondissent toujours plus leurs recherches des meilleures techniques à bas prix. Le fait que ce soit le premier kaiju-eiga en couleurs change pas mal de choses : les transparences (fait de filmer des acteurs devant un écran où sont projetées des images tournées au préalable) sont plus visibles (et plus nombreuses faut dire), les maquettes ont désormais un véritable look de jouets… Et Honda et Tsuburaya l’assument, et pour moi c’est le plus beau. Il y a dans ces monstres en caoutchouc qui détruisent des jouets en plastique (d’où le nom de cette liste) quelque chose d’enfantin, d’innocent, comme lorsque enfants nous aussi nous nous amusions à créer des attaques de monstres géants sur des villes miniatures dans nos chambres. En prime, Honda insuffle une dose d’émotions peu commune jusqu’ici : la tristesse éprouvée envers le monstre lui-même. La mort de Rodan dans l’éruption du volcan (séquence mémorable qui sera reprise par Juan Antonion Bayona dans Jurassic World : Kingdom Fallen), justifierait presque à elle seule la note du film, tant ce moment m’a paru juste, touchant, cinématographique et, j’ose le dire, poétique.
Pour toutes ces raisons, et bien que ses défauts soient assez rebutants au demeurant, Rodan est une étape incontournable dans le kaiju-eiga, et un nanar qui mérite une certaine forme de considération et de valorisation.