En 1956, les régions montagneuses de Kyushu au Japon sont exploitées par des mineurs. La cupidité de l’Homme contraint les mineurs à creuser toujours plus profondément et à agrandir les mines. En prenant trop de risque, un éboulement se déclenche et isole un mineur. Celui-ci devient le témoin de l’éclosion d’un ptérodactyle géant.
Le cœur de la bête
Le monde cinématographique vient de découvrir Godzilla deux années plus tôt. Un monstre iconique, Père de tous les Kaijus, dont le message incarné par la créature est celui d’élaborer une critique intelligente de l’orgueil de l’Homme et sa foi aveugle envers ses armes. Nimbé par les ravages d’Hiroshima et de Nagasaki Godzilla a obtenu un certain succès, et plus particulièrement en Amérique. Précisément parce que les Américains étaient touchés pour des raisons évidentes par le monstre qui incarnait les conséquences de la guerre atomique et de la radioactivité. En effet, rappelons que les bombardements atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki correspondent aux ultimes bombardements stratégiques américains au Japon. Quoi qu’il en soit, Ishiro Honda désire faire évoluer son catalogue de monstres et continue à proposer des créatures uniques dans le but de rendre davantage populaire le concept des Kaijūs.
Rodan (1956) est une sorte de ptérodactyle géant mutant. Il n’est peut-être pas le Kaijūs le plus inspiré d’Ishiro Honda mais deviendra par la suite l’un des monstres japonais les plus célèbres et un ennemi emblématique de Godzilla. Rodan a d’ailleurs des pouvoirs bien moins spectaculaire que Godzilla, mais n’en reste pas moins une force de la nature également. Avec ses ailes, la créature arrive à fendre le ciel au point que le souffle de son passage suffit à renverser les ponts et à faire tomber les immeubles. Une sorte de puissante symbolique du souffle atomique. Par ailleurs, à l’instar de Godzilla Rodan ne correspond pas uniquement à un monstre venu saccager des villes pour y semer la mort et la désolation. Le monstre incarne lui aussi un message écologiste à destination des catastrophes engendrées par la bombe A et la bombe H, mais aussi de l’exploitation excessive de l’Homme sur la nature. En effet, le sommeil de Rodan a été perturbé par de nombreux bouleversements divers tous provoqués par l’Homme. Le film saisit d’abord une explication logique avec le réchauffement climatique de la Terre, la nature volcanique et chaude du sol faisant le reste. Puis, une seconde explication où les mineurs ont trop ravagé la nature en creusant toujours plus et toujours plus profondément dans le sol jusqu'à réveiller un monstre venu des entrailles de la Terre.
Réalisation magistrale
La structure du film reprend la méthode du Godzilla de 1954 signé également Ishiro Honda. Dans une dynamique sans fin, on assiste d’abord à une angoisse focalisée par des événements étranges et inexplicables, puis à un questionnement profond sur la nature et les raisons de la catastrophe, avant de concrétiser les peurs et les questions en dévoilant le monstre et ses aptitudes. Avec ce procédé, Rodan n’est véritablement découvert qu’au bout d’une heure de suspens. Lorsque le monstre arrive, la panique devient l’ambiance priorisée par le film loin des mœurs de la hiérarchie minière qui occulte presque les morts et les catastrophes au début du film pour s’inquiéter des profits et des pertes de l’industrie sur le territoire.
La mise en scène est un mélange de reprise des anciennes méthodes et d’actes innovants. Comme indiqué ci-dessus, le film reprend la même progression lente et patiente concernant la révélation du monstre et semble rester dans la même recette que le classique Godzilla de 1954. Toutefois, le film parvient à surprendre avec quelques idées très novatrices pour l’époque. En effet, le fait de mettre en scène un monstre volant permet de construire d’admirables séquences aériennes. Le monstre combat des avions de chasse et en vient à jouer subtilement avec les nuages pour s’y dissimuler et fondre sur ses proies. Soulignons également l’évidence qu’il s’agit du premier film d’Ishiro Honda en couleur.
L'Âge des Kaijūs
Avec Rodan, Ishiro Honda livre une nouvelle fois un large éventail d’interprétation : les conséquences écologiques, la concurrence industrielle, le manque de respect envers la nature, les conséquences de la radioactivité, et la peur de l’atome.
Si initialement c’est bien le film le monstre des temps perdus (1953) qui a entrouvert la voie vers la présentation de monstres réveillés par le nucléaire, c’est bien Godzilla (1954) qui a apporté un message écologiste explicite en incarnant délibérément les conséquences de la guerre atomique. Rodan est le film suivant qui apporte la preuve que ces expressions grossies d’une période instable seront toujours un élément fondateur des films d’Ishiro Honda.