Biopic impressionniste, un grand film minimaliste sur la condition de l'artiste au travail.


Le regard de Vincent Lindon, totalement incarné dans le rôle du sculpteur, aurait du lui valoir un prix d'interprétation à Cannes. Émouvant et passionnant, l'amour et les doutes de Rodin pour son art sont rendus dans le moindre geste, dans tous les silences, le regard compact enveloppe le vide, pour faire naître de la matière un peu de vie dans la glaise.
On a rarement montré de façon aussi juste le combat épuisant, toujours recommencé, du geste qui cherche, cette danse syncopée de la main et du regards qui font résistance, de l'art qui prend tout, et à qui il faut tout redonner avec ardeur comme si c'était la première fois, toujours et encore, même après des années de pratique. Le dialogue recommencé sans cesse du faire et du défaire.


Il suffit de voir comment Rodin est frappé par la beauté d'un arbre noueux sur les bords de Marne, pour comprendre comment il regarde, comment il écoute un langage secret, lorsqu'il passe une main sur l'écorce. Traversé par une puissance vitale, un souffle le façonne de l'intérieur et lui enseigne comment pétrir la Terre en profondeur.


Une des sequences les plus émouvantes de l'année, où l'on est frappé par la même tristesse que Rodin devant une pièce superbement mélancolique de Camille Claudel, lors de sa visite de l'exposition de l'amour de sa vie et élève. Interprétée par la dynamique mais très moyennement talentueuse Izia Higelin, vraiment écrasée par notre souvenir d'Adjani dans le rôle on va pas se mentir - mais comme Lindon se charge d'effacer l'immense Depardieu à lui tout seul, on s'en fiche. Claudel n'est déjà alors plus que l'ombre d'elle même, rongée par la paranoia et l'amertume. Abandonnée de tous sauf lui. Sa pièce géniale, nous montre deux amants, dont il est impossible de dire par le jeu mystèrieux de sa composition s'ils s'aimantent ou se repoussent, représente tout ce que l'amour a de plus beau et douloureux.


L'illustration infiniment sensible et attentive de Doillon de ce qu'on appelle en philosophie 'persister dans son être' : le conatus. Traduit du latin par "effort", que nous pouvons comprendre comme exercice d'un être d'obéir à sa nature propre. Désir de vivre.
C'est chez Spinoza l'affect fondamental : "l'effort" d'exister, autrement dit de persévérer dans l'être constitue l'essence intime de chaque chose.


Brut.

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le 14 janv. 2018

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forêt fantôme

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