Rollerball
6.8
Rollerball

Film de Norman Jewison (1975)

La plupart des grandes dystopies sont réputées et souvenues pour leur ambiance, leur décorum particulier, et une architecture sombre, gigantesque et étouffante. On a pu le remarquer dans les Blade Runner, Equilibrium, Metropolis, Matrix ou encore Dark City. Mais le terme de dystopie a aussi un sens ayant, entre autres, attrait à une vision de la société. Comme Thomas More exposait son Utopie en 1515, société idéale et parfaite, la dystopie est avant tout et surtout une vision négative de la société. Et c’est sur ce point que Rollerball se penche, où la dystopie s’avère plus psychologique que visuelle.


Si le futur, décrit à l’époque, était encore relativement lointain et fantasmé à partir des standards des années 1970, il se retrouve aujourd’hui actuel, l’action se déroulant à notre époque. Décrivant la société du début du XXIe siècle, Rollerball grossit les traits et imagine une société où tous les vices de l’époque ont pris le dessus. Ici, les individus sont soustraits à un ensemble, et le film insiste sur la puissance de la masse, étouffante et écrasante. Elle catalyse la rage des individus, qui s’attroupent pour assister aux matchs de rollerball, le défouloir par excellence, où les gladiateurs sur patins à roulettes s’affrontent dans des matchs sans pitié où la mort est souvent au rendez-vous. Rollerball dresse ainsi le tableau d’une société qui ne peut plus être satisfaite par ce dont elle dispose, si ce n’est par une violence sauvage et animale.


Dans les tribunes des stades, ou même lors de soirées mondaines, on regarde du rollerball, nouvel aliment répondant aux besoins primaux d’individus instrumentalisés par un système oligarchique qui les écrase. Les grandes multinationales ont pris le dessus, et cumulent désormais les pouvoirs économiques et politiques, symbole de la domination de l’argent sur les idées et les convictions. Comme dans Le Prix du Danger, futur film avec Gérard Lanvin, on s’abreuve de violence, on veut tout voir. Le film vient proposer une critique conjointe des dérives du capitalisme et du communisme, où le groupe prévaut, mais l’intérêt matériel aussi. On constate d’ailleurs, notamment lors de la séquence de la grande réception, l’image d’une aristocratie décadente, la représentation d’un système en berne, comme on a pu le voir chez Stanley Kubrick dans Barry Lyndon ou chez Fritz Lang dans Metropolis. Il ne s’agit plus de réfléchir par soi-même, comme en témoignent l’utilisation de « pilules d’intelligence », mais bien d’être dans le paraître, et agir selon ses pulsions sous couvert d’appartenance à une classe sociale.


C’est ce que l’on constate à travers la représentation de la société et du point de vue des spectateurs, mais il est intéressant, également, de se placer du point de vue des compétiteurs. Car, bien entendu, les actions des spectateurs nourrissent le propos dystopique de Rollerball, mais les matchs et la vie des joueurs du sport éponyme sont les représentations directes de ce qu’est cette société du futur. Par le prisme du sport, le film décrit une société impitoyable où il faut sans cesse lutter pour survivre, où seuls les plus forts tiennent debout à la fin, où, peu importe les moyens, seule la fin compte : gagner. Mais ce n’est pas qu’une question de gagner des matchs pour satisfaire le coach ou les investisseurs. Jonathan, le héros de son équipe, le champion, montre aussi cette quête de liberté, qui ne peut être poursuivie qu’à travers l’exercice de ce sport et les victoires successives. Dans l’arène, il est le meilleur, il fait se soulever les foules, même les supporters adverses, il devient un modèle, un leader charismatique et, surtout, une menace pour le pouvoir en place. Dans cette oligarchie, il ne peut y avoir d’autre source d’influence, et celui qui était une poule aux œufs d’or doit être chassé du devant de la scène.


Rollerball est donc un film violent, autant physiquement que psychologiquement, et qui frappe de plein fouet le spectateur. Ce futur n’a rien de progressiste, au contraire, il montre en quoi nos dérives, qui nous menacent en permanence, risquent de nous faire régresser. La technologie évolue, mais les esprits et les individus reviennent toujours à des instincts primaires et sauvages. Alternant des phases d’action survoltées lors des matchs, et des passages beaucoup plus observateurs et calmes en-dehors de l’arène, Rollerball ne cherche pas juste à être percutant, il cherche à faire réfléchir. C’est un film avant tout écrasant, pour le spectateur, comme pour les personnages, toujours petits vis-à-vis des espaces dans lesquels ils se trouvent et dans les monuments qu’ils côtoient. Bien mené, avec une équipe d’acteurs au rendez-vous, James Caan en premier, Rollerball est une dystopie référence qui a bien résisté aux effets de l’âge et dont les messages resteront toujours d’actualité.

JKDZ29
8

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le 7 avr. 2018

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