Rollerball nous dépeint avec un certain brio ce que des théoriciens économistes partisans d'un ultra-libéralisme total considèrent comme le monde idéal : la disparition des états-nations a laissé le champ libre aux multinationales qui peuvent ainsi modeler le monde à leur guise, c'est-à-dire le réduire à un immense marché dont elles tirent toujours plus de jus à travers l'exploitation des masses gardées dociles par des divertissements perpétuels, fussent-ils ultra-violents. Toute ressemblance avec notre présent, où les agences de notation à la solde des banques, et donc du capital, dictent au moins indirectement leur politique économique aux états pourtant supposés encore souverains, n'est pas une coïncidence. Loin de là.
D'ailleurs, de nos jours comme dans cet avenir pas si hypothétique que ça, les masses préfèrent s'abrutir dans toujours plus de divertissements plutôt que de se prendre par la main pour accomplir quelque chose de personnel à défaut de notable. La seule particularité de ce futur tient dans ce que l'assistanat, ici, est le fait des corporations au lieu des États-providence. En réalité, il n'y a que très peu de différences avec aujourd'hui : le pouvoir a juste changé de mains. Par contre, ceux qui le déteignent ne le partagent pas, même pas par la voie démocratique. Et d'autant plus que cette néo-féodalité reste acceptée par tous de toutes manières. Après tout, tant qu'on a du pain et des jeux, pourquoi risquer de tout perdre en se rebellant ?
Bien sûr, il saute aux yeux que ce monde est en réalité à l'agonie. Car en éliminant leur dernier grand rival, l'État, les corporations ont dû évidemment en venir à se mettre d'accord entre elles pour conserver leur part du gâteau à travers une sorte de statu quo – de la même façon que, de nos jours, les grands groupes rivaux sur un marché pratiquent des tarifs équivalents pour ne pas se nuire mutuellement : je pense en particulier à la téléphonie mobile, aux banques ou encore aux FAI. Se faisant, elles ont en fait détruit ces notions de compétition et de concurrence sur lesquelles elles reposaient pourtant, et en sont vite venues à s'avachir dans ce petit confort que nul ne peut menacer, et pas même leur rival puisque celui-ci a tacitement déclaré forfait.
Pour cette raison, les exécutifs des corporations sont les plus grands fans de Rollerball : il n'y a plus que là qu'ils trouvent la compétition dont leur nature prédatrice reste boulimique en dépit de leurs faux dehors de civilisation. Quant aux citoyens lambda, pressurés par des techniques de management qu'on devine sans peine, ils se gorgent de ces matchs sanglants pour oublier le temps d'une rencontre cette vie d'exploitation par une corporation qui, de toutes façons, ne parviendra jamais à prendre le dessus sur sa concurrente : devant l'absurdité d'une telle existence, après tout, mieux vaut s'abîmer dans ce spectacle où la sauvagerie le dispute au non-sens. Sous bien des aspects, et c'est bien là le pire, c'est encore ce qu'il y a de plus raisonnable.
Ainsi, et malgré une certaine simplicité du personnage, Jonathan E. incarne-t-il notre capacité à nous rebeller, même s'il semble le seul à ne pas l'avoir oublié – et de champion du stade, il devient champion tout court. Pour autant, en dépit de cet aspect hélas assez naïf de son récit, Rollerball reste malgré tout une grande réussite du film d'anticipation, car le futur de cauchemar dont il dresse le portrait semble dangereusement près de se réaliser...
Notes :
Ce film adapte plus ou moins la nouvelle Rollerball Murder de William Harrison, qui signe ici le scénario, publiée en 1973 dans le magazine Esquire et présente au sommaire du recueil de nouvelles Rollerball paru aux éditions Presses de la Cité en 1975.
Rollerball connut un remake, sous le même titre, réalisé par John McTierman et sorti en 2002, qui fut non seulement un flop commercial mais qui se fit aussi descendre par la critique.
Le sport de balle ultra-violent Motorball dans le manga Gunnm (Yukito Kishiro ; 1991-1995) s'inspire ouvertement de Rollerball.