Revoir Rollerball hier soir, c'était rouvrir une fenêtre sur mon enfance, quand j'ai découvert un des films qui a forgé ma cinéphilie. Quand j'ai découvert le film en format VHS, enregistré lors de l'un de ses ultimes passages en deuxième partie de soirée, quand le carré blanc ornait encore le coin inférieur droit de la télévision des parents. Pour les plus jeunes, le carré blanc, c'était l'interdit. Mais l'hypnotique Adagio et ses notes mortifères exerçait déjà sur moi la fascination.
C'était aussi les premières séquences de jeu, musclées, mais restant étrangement fun, mettant en scène une tête brûlée insouciante et goguenarde, qui était plus occupée à multiplier les pains qu'à jouer. Et ce buteur star instantanément charismatique : Jonathan.
J'étais trop petit pour saisir dans le scénario que les états n'existaient plus, ou leur remplacement par des corporations qui assuraient le bonheur des peuples en échange de leur docilité. Je comprenais encore moins que le sport spectacle était le seul exutoire à leur violence. Que le reste du temps, la haute société des cadres, vide, privée de son passé, hypnotisée, apathique, vaine, se traînait dans des orgies molles devant la télé grand écran de leur hôte. Et que parfois, pour tromper l'ennui, elle se prenait d'une frénésie destructrice dont les arbres faisaient les frais. Six, pour être précis. Un symbole pour mieux dire que, pour garder cette société de cauchemar sous contrôle, il était nécessaire de brûler les idoles.
Car les idoles bravent les décisions qu'on peut prendre à leur place et se hissent au dessus du sport, menaçant l'emprise totalitaire. On priera dès lors Jonathan, le numéro six star, de songer à se retirer. Surprise, l'idole n'obtempère plus, meurtri qu'on lui ait déjà soustrait son épouse pour le bon plaisir d'un puissant. Il ne cède pas plus à l'intimidation ou à la colère d'un John Houseman vénéneux et faussement impassible.
Le jeu se chargera donc de lui faire entendre raison. Les règles du sport changent sans cesse. Le rollerball devient de plus en plus violent. Qu'importe. Le public acclame toujours plus fort, toujours plus nombreux dans les gradins de l'arène chauffée à blanc. Rollerball versera donc dans l'ultra violence. Les coups pleuvent, les corps inanimés glissent lentement sur la piste. La boule propulsée explose un casque. Les motos, quant à elles, finissent sur le flanc et s'embrasent. La violence culmine dans la mise à mort de Moonpie, l'un des sommets émotionnels du film, résonnant étrangement avec ce que l'on est en train de vivre. Plus aucune règle pour canaliser la rage. Et juste avant le match final, dans les vestiaires adverses, on se galvanise au cri de "Jonathan est mort !". L'idole brûlera donc ce soir.
Ils tomberont les uns après les autres. Les diodes de leur barre de vie disparaissent, comme dans un jeu vidéo, sur le panneau d'affichage. Les cadavres jonchent l'arène. La corporation voulait sa peau mais l'idole est restée debout. Il tient difficilement sur ses rollers, mais il a la force de faire un dernier tour de piste. Il est seul. Le soigneur murmure d'abord. L'étincelle fait naître le feu. Dans les gradins, la foule muette se lève, puis murmure à son tour. Le feu se propage, incontrôlable. L'Adagio retentit à nouveau et la clameur grandit.
Le rébellion est en marche. La révolution n'est pas loin. La dernière image de Rollerball lui donne un visage. La foule a depuis longtemps scandé son prénom : Jonathan.
Behind_the_Casque.