Cette critique fait partie de la liste "Un livre, un film".
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La nouvelle:
En 1973, William Harrison publie sa nouvelle Roller Ball Murder, où il est question d'un jeu violent mêlant le roller, le foot américain et la moto.
En voici les règles:
1.Il n'y a aucun joueur remplaçant,
2.pas d'arrêt de jeu,
3.pas de pénalités (tous les coups sont donc permis et surtout encouragés),
4.le jeu dure deux heures d'affilées.
Le déroulement du jeu est le suivant:
- une boule d'acier est éjectée d'un tube sur une piste circulaire puis sera attrapée par le receveur avec un gant renforcé. Le dit receveur tentera de la donner au buteur, qui devra montrer qu'il détient la boule à tous les autres participants puis il devra aller la jeter dans un orifice magnétique, situé sur le mur ceignant la piste.
Les autres joueurs devront ou protéger le porteur de la boule ,ou empêcher le dit-porteur de marquer le point.
Tous les coups sont permis pour y parvenir: coup de coude, de pied, de poing ou de tête. Possibilité aussi de déséquilibrer les motos qui trainent le porteur.
Le jeu se déroule donc en trois périodes et chaque but équivaut à un point (au contraire du foot US, qui se compte en 6 points pour un touchdown + 1 PAT (point after touchdown) ou un field goal -comptant 3 points - si impossibilité de rejoindre la end zone).
Jonathan E. est donc le buteur vedette de l'équipe de Houston et plus le jeu devient populaire, plus les règles changent...
Dès que la nouvelle commence, nous plongeons directement dans le match opposant la toute puissante Houston à l'équipe de Londres, dont l'issue est de 7 à 2 pour Houston.
Jonathan E. est notre narrateur et il nous explique et les règles du Roller Ball Murder et les règles générales de cette nouvelle société où toute violence et/ou guerre ont été bannies par les 6 Consortiums régissant le Monde entier.
Lors du match contre Mexico City, la forme de la boule passe de sphérique à oblongue, ce qui fait que la course de celle-ci devient plus aléatoire...et dangereuse !
cela n'empêche nullement Houston de gagner par 37 à 4 !
On y apprend aussi que E. est le fils illégitime d'un Cadre et comment il a rencontré la sublime Ella , son premier amour et son unique épouse.
Lors du match contre Tokyo, ce n'est plus une, mais trois boules oblongues qui sont éjectées en même temps. Plus de risques, plus de frissons pour le public...
C'est lors de cette partie que Moonpie sera littéralement exécuté par les skaters Japonais.
Le pire restant à venir avec la finale contre New York où toutes règles sont bannies et où le temps de jeu n'a plus de limite...
La fin de la nouvelle est assez désarmante, puisque nous y voyons Jonathan -après avoir passé une semaine avec son ex-femme Ella - entrer sur la piste de Roller Ball Murder pour jouer contre New York - où je le rappelle, il n'y a plus aucune règle - et à la dernière ligne de la nouvelle,
E. chante avec le public surexcité l'hymne sportif The Game, The Game, All Glory To It !.
On ne sait donc si Jonathan E. a joué là son dernier match, ni s'il a survécu, ni...
C'est à nous lecteur d'imaginer la suite...
Le film:
On le voit, le scénario du film reprend fidèlement la trame de la nouvelle de Harrison, puisque celui-ci est aussi le scénariste/adaptateur de son Roller Ball Murder (on notera donc la contraction de Roller Ball en Rollerball et l'abandon du mot "Murder", pour épurer le titre.
Mais Harrison n'a pas que brillamment adapté sa nouvelle, il l'a aussi transcendé en approfondissant son propos et en donnant plus d'épaisseur aux personnages à peine esquissés dans la dite nouvelle.
Décrivant un monde aseptisé, froid, totalitaire et sécuritaire, Rollerball se base donc sur cette nouvelle succincte..
Le monde tel que nous le connaissons a totalement disparu, pour laisser place à 6 Consortiums régissant:
l'Énergie,
les Transports,
l'Alimentation,
le Logement,
la Communication,
le Luxe (!).
A chaque Consortium, une ville.
Houston est donc celle de l'énergie.
Les guerres ne sont plus qu'un lointain souvenir, tout comme la pauvreté, la famine et - semble t-il - les maladies.
Un monde idéal, en somme. Sauf que ce-dit nouveau monde se sépare en deux castes: le peuple et les Cadres.
Il est aussi à noter que dans cette "société parfaite", la femme en tant que telle est devenue un objet que l'on peut offrir à qui le demande (les Cadres, j'entends), selon les nouvelles lois du Directoire Exécutoire (caste des Hauts-Dirigeants).
Ainsi, elle est "prêtée" aux gens du peuple, mais peut être désirée par un cadre quelconque.
Dès lors, elle sera tout bonnement "enlevée" puis remplacée par une autre et qu'importe si cela ne plait pas à l'homme lésé de son "bien"...
Le Directoire Exécutoire pense à votre place et vous dit ce qui est bien - ou non - pour vous.
Plus de guerre donc plus de violence, me direz-vous...
Oui et non.
Oui car une paix "utopique" règne sur cette nouvelle ère, non car l'être humain a besoin de voir de la violence, à défaut de la donner.
Pour cela, un sport unique a été crée à ce dessein: le Rollerball.
L'équipe favorite de Rollerball est celle de Houston, anciennement Texas. Elle est menée par le charismatique Jonathan E (fabuleux James Caan).
Celui-ci est un excellent sportif qui ne pense qu'à son équipe et à la victoire.
Jonathan E. fascine le public. Il devient presque plus important que le jeu lui-même.
Ce qui ne plait pas au Directoire Exécutoire, représenté par Monsieur Bartholomew (excellent John Houseman).
Personne ne peut être plus important que quiconque et surtout pas un homme "d'en bas"!
Il est donc décidé de le forcer à se retirer de la compétition, pour "le bien de tous".
Mais Jonathan ne l'entend pas de cette oreille.
D'abord, le Rollerball, et son équipe, c'est toute sa vie. De plus, on lui a "retiré" sa compagne Ella (sublime Maud Adams) pour la "donner" à un cadre informaticien, vivant à Rome.
C'en est trop pour le leader de Houston. Ce double affront lui ouvre les yeux et il commence à se dire que quelque chose ne tourne pas rond, dans ce monde si "beau" et pacifique...
Allégorie sur l'époque des gladiateurs à l'ère Romaine (d'ailleurs, ce monde pacifié rappelle la Pax Romana), cet avatar des anciens Jeux du Cirque cristallise la violence enfouie en chaque être.
Il faut voir la foule littéralement s'exciter lors des violentes actions, se passant dans ces arènes high-tech, réminiscence d'un Empire Romain ayant marqué l'Histoire.
Mais avant que ne commence une rencontre, tout le monde se doit de rester digne, lors de l'Hymne Corporatiste, sorte d'éloge "impériale" jouée à l'orgue.
Il est d'ailleurs à noter que j'ai découvert la musique dite "classique, par le biais du Toccata E Fugue de Bach et l'Adagio de Giazotto et Albinoni, grâce à ce film !
Là où James Caan interprète un sportif complètement paumée - dès lors que le Directoire Exécutoire décide de le mettre sur la touche - qui va enfin ouvrir les yeux, John Houseman compose un Bartholomew antipathique, glacial et sournois à souhait.
Ce Haut-Dirigeant pourrait presque être comparé à un Demi-Dieu, tant il est révéré par tous ceux qui le croise, y compris sa propre équipe de Houston.
Dès l'entame du film, c'est le Toccata E Fugue de Bach qui résonne dans l'arène où tout est préparé pour la partie de Rollerball du jour, les quarts de finale de la Coupe du Monde.
On est d'emblée invité à assister à ce match où l'on va apprendre les règles en cours de route.
Les personnages nous seront présentés ensuite, lors du post-game.
Cette ouverture inhabituelle - généralement, l'exposition des personnages intervient avant - donne le ton et donne une légitimité inattaquable au Rollerball, en tant que sport.
Outre le côté "action" de cette sorte de jeu du cirque Romain, Rollerball se pare d'une dystopie acerbe où les Hauts- Dirigeants prennent toutes les décisions concernant le Peuple - y compris l'endroit où vous vivez, la femme qui est avec vous et votre manière de penser - transformant donc ce monde pacifié comme un État totalitaire où il fait bon la fermer et profiter de cette vie où la misère et la violence ont été expurgées...
Si l'on excepte le décorum kitsch des 70's (couleurs criardes, mobilier très typé, police d'écriture...), le film de Norman Jewison tient très bien la route, même aujourd'hui.
D'une violence percutante bien présente (nul besoin de gore outrancier ou de ralenti gratuit) car abrupte et furtive, Rollerball se pare d'un discours intéressant sur la dictature totalitaire et sécuritaire, qui a toujours son écho de nos jours...
En résumé, un excellent film d'anticipation nanti d'excellentes interprétations et le tout, couronné par une réalisation adéquate du Sieur Jewison.
Quant à la fin ambiguë, difficile de savoir ce que voulait dire le duo Jewison/Harrison:
Jonathan a t'il "gagné" la bataille contre Bartholomew/Le Directoire Exécutoire et ainsi, sa liberté de continuer sa vie comme il l'entend ?
Bartholomew - tout à sa rage de voir Jonathan porté aux nues par le public - va t'il ordonner la mort du capitaine de l'équipe de Houston, car celui-ci pourrait devenir un sérieux problème ?
Jonathan va t-il tout laisser tomber et tenter de rejoindre le monde des Cadres, profitant ainsi de sa popularité bien assise au yeux du Monde ?
Jonathan E. est-il le symbole du Nouvel Homme Libre?
Assurément !
Va t-il y survivre ?
Rien n'est moins sûr...