Rome ville ouverte n’est pas un film que l’on retient forcément pour sa folle technique, ses mouvements de caméra fougueux, malgré la présence de quelques séquences audacieuses. En effet, la réalisation de Rossellini pourrait paraitre quelque peu terne, sans vie, aride pour certains. Pourtant, devant cette forme singulière on ne peut que rester happer par le côté réaliste, quasi documentaire qui se dégage de la réalisation du cinéaste italien. Le tout permettant de retranscrire l’atmosphère oppressante et pesante qu’on put connaitre des millions d’individus pendant la guerre.
Certes je pourrais reconnaitre que le montage n’est parfois pas forcément à son mieux, notamment les passages entre les différentes séquences qui manquent de fluidité. On passera aussi aux quelques impuretés de l’image et un fond de son pas forcément agréable. Mais on peut facilement excuser cela par une pellicule qui commence à accuser son âge… alors à quand une restauration ?

Rome ville ouverte c’est aussi une histoire du bas, loin d’une grande odyssée de la résistance c’est la vie de simple gens sous la domination allemande et l’opposition populaire au joug nazi sur leur ville. Résistant de la première heure, simple imprimeur, curé, enfant, même modeste policier, tous ensembles luttent en silence à leur niveau contre l’occupant.
L’histoire s’installe tranquillement, les relations entre les différents personnages, très bien écrits et assez profonds, naissent et se développent doucement jusqu’au point tournant du film, qui fait basculer le rythme plutôt tranquille du film dans une tension qui monte crescendo jusqu’à la scène finale. Je parle évidemment de l’arrestation de notre petite troupe, et cette mort, immortalisée par ce coup de foudre arrivant à l’improviste. Brève, qui arrive par surprise, mais surtout dotée d’une puissance assez rare. De même, la non insistance du réalisateur sur cette scène, travers que beaucoup n’auraient pas évitée, ne fait que décupler sa force évocatrice en évitant tout excès de sentimentalisme.
Cette manière froide, crûe pourrait-on dire de montrer la mort va ainsi revenir plusieurs fois au cours du film. Et à chaque moment avec cette même verve, jusqu’au final, époustouflant, avec ce qui reste comme une des morts les plus marquantes que j’ai pu voir au cinéma.
Rossellini maitrise la sobriété, et cela se voit aussi pendant les scènes de torture, et a déjà son époque compris, qu’une telle séquence, pour être la plus frappante possible, évite de la montrer aux yeux du spectateur, et fait rentrer en action l’imagination du spectateur. Là où encore une fois, beaucoup ont parfois trop tendance à mettre en scène une violence tape à l’œil…

Frappant par sa dureté, le film de Rossellini n’en reste pas moins aussi une œuvre social, et décrivant bien les difficultés de la vie à cette époque. Qu’on l’on évoque la liberté d’aller et venir bafouée ou que l’on parle de la lutte pour se nourrir, où chaque distribution de nourriture est propice à un attroupement massif de la population car où tous manquent de provisions.
Rome ville ouverte c’est aussi un film sur la délation en temps de guerre, et non pas juste la délation envers une personne que l’on n’aime pas, déteste, que l’on abhorre mais bel et bien celle entre gens proches, intimes. Et c’est dans ces cas-là que la trahison est la plus forte, la plus frappante, la plus violente. Personne n’est à l’abri.
Cet aspect montre aussi l’ambivalence, la contradiction entre différents comportements, entre d’un côté la majorité de la population qui souffre ensemble, en se serrant les coudes et de l’autre les profiteurs de la situation qui dénoncent les leurs, guidés par l’intérêt individuel et le profit mercantile et ne reculant devant rien pour voir leur situation s’améliorer, même pas devant ce qu’on peut appeler une forme de prostitution…
Comme j’ai pu le dire plus haut, malgré sa figure qu’on pourrait dire de martyre, le résistant, mu par un courage sans borne, lucide quant à sa situation, fataliste devant les évènements, n’en reste pas moins un homme comme les autres, car comme le dit lui-même Mandfredi, « nous ne sommes pas des héros ». L’attitude de celui-ci et de son confrère le prêtre, c’est un peu le triomphe de la volonté, bien que le prix pour la liberté demeure toujours cher à payer.


Quand on pense que le film a été réalisé en 1945, on ne peut qu’être encore plus frappé de la puissance de cette œuvre. Fait sans recule historique certes, mais qui parait tellement plausible et vraisemblable. Un film froid, dur, engagé, mais terriblement lucide.
Il parait que le néoréalisme italien est « né » à cette occasion ? Alors vive le néoréalisme !

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le 14 mai 2014

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