Rosemary's Baby par Vincent Formica
Rosemary et Guy Woodhouse viennent d'emménager dans un appartement cossu d'un immeuble New-Yorkais. Très vite, leur quotidien va être dérangé par des voisins à l'amabilité encombrante et envahissante.
La caméra panote et se balade, surplombant la ville de New-York. A l'instar d'Alfred Hitchcock pour Psychose, Roman Polanski choisit cette séquence pour ouvrir son film mais l'ambiance y est radicalement différente. Mia Farrow pousse la chansonnette pendant que le générique défile en belles lettres roses. Une ouverture volontairement « guimauve » et pourtant, on sait. On aura pas affaire à Mary Poppins.
En effet, si le réalisateur prend le spectateur à contrepied avec ce générique, Rosemary's Baby n'en reste pas moins un film d'épouvante glaçant. Sorti en 1968, Huit ans avant l'Exorciste de William Friedkin et douze ans avant le Shining de Kubrick, le cinéaste Franco-Polonais réalisait là son premier film hollywoodien et choisissait donc de s'attaquer au genre fantastique. Force est de constater qu'il ne balbutiait déjà pas son cinéma et reprenait également un thème qui lui est cher, l'horreur de la vie en appartement entamée avec Répulsion en 1965.
Roman Polanski opte pour une mise en scène sobre, efficace, privilégiant les plans fixes et une photographie qui met en avant les couleurs chatoyantes à l'image des tenues criardes de Rosemary et de son inquiétante voisine, Minnie Castevet. Ce choix est pertinent car il met de côté la surenchère (hormis les scènes oniriques avec Rosemary où le metteur en scène ose les fulgurances visuelles) et renforce l'idée de l'incursion du surnaturel dans le quotidien le plus banal. L'effet fonctionne et le réalisateur instaure une ambiance malsaine et angoissante qui ne nous quitte pas. « Bercé » par le thème récurrent de la Lettre à Elise de Beethoven, son qui provient de l'appartement voisin et s'immisce insidieusement dans celui des Woodhouse, le spectateur est plongé dans cette atmosphère assurant frissons et angoisse.
Le cinéaste ajoute d'intéressantes interrogations comme celles concernant Dieu. Rosemary est en réflexion permanente sur ce sujet à l'image d'une société qui perd la Foi et dans des cas extrêmes, comme le souligne le film, se tourne vers d'autres dogmes occultes comme le Satanisme, question centrale du scénario. Rosemary dira en ce sens à Madame Castevet qu'elle est de confession catholique mais qu'elle s'interroge malgré tout. Ceci amplifié par la lecture d'un magazine avec pour titre en grandes lettres rouges : « DIEU EST-IL MORT? » .La thématique du miroir, reflet de la dualité de l'âme humaine est également très présente et participe à une cohérence scénaristique sans faille jusqu'à un climax final absolument terrifiant.
L'interprétation dans Rosemary's Baby est un point fort qui contribue à cette ambiance oppressante et sinistre. Farrow est impressionnante ; au fur et à mesure que l'intrigue avance, son état physique et mental se dégrade comme le fait de se faire couper les cheveux très courts au milieu du film, manière de faire perdre à cette figure Baudelairienne de la beauté marmoréenne toute sa féminité et au-delà de ça, la déshumaniser et rejoindre le propos du film : Rosemary, bonté et innocence incarnée va t-elle mettre au monde un monstre inhumain?
On notera également la performance de Ruth Gordon et Sidney Blackmer qui interprètent le couple Castevet dont l'ombre sournoise et pernicieuse planera tout le long du film. John Cassavetes qui campe Guy Woodhouse n'est pas en reste et rend justice à l'ambivalence inhérente au personnage.