À l'est d'Eden par Vincent Formica
A l'est d'Éden, film d'Elia Kazan sorti en 1955 est un des plus grands classiques de l'histoire du cinéma. Adaptation du roman éponyme de John Steinbeck, le film a contribué à forger la légende de James Dean, icône légendaire de cette jeunesse américaine rebelle des années 50.
En 1917, à Salinas Valley, Cal Trask (James Dean) et son frère Aaron (Richard Davalos) aident leur père à exploiter ses terres. Aaron a toujours été le fils préféré tandis que Cal, malgré ses efforts, reste incompris et convaincu que son père ne l'aime pas. Les deux frères ont toujours cru que leur mère était morte mais Cal va découvrir qu'elle est bel et bien vivante, qu'elle vit dans la ville voisine et y dirige une sorte de maison close...
Le titre du film est tiré d'un verset Biblique relatant la fuite de Caïn, après le meurtre d'Abel : «Caïn se retira de devant l'Éternel, et séjourna dans le pays de Nôd, à l'est d'Éden.» On comprend donc rapidement à travers ce titre évocateur que le sujet du film sera la famille, les tensions dans une fratrie et a fortiori, la relation au père. En ce sens, il convient de souligner la prestation halluciné de James Dean, parfait dans le rôle de ce jeune homme totalement désœuvré, en constante recherche de repère et d'amour paternel. Tout en intériorité et en retenue, Dean donne une dimension quasiment Shakespearienne à son personnage. En effet, Cal ne trouve du réconfort qu'auprès d'une mère tenancière de bordel alors que son père, considéré comme un saint homme, très pieux, très généreux, n'arrive pourtant pas à le comprendre. Les personnages possèdent d'ailleurs tous une psychologie très profonde, jamais manichéenne, la frontière entre le bien et le mal étant toujours très fine à l'image d'Aaron culpabilisant de ne pas s'engager pour la guerre et n'assumant pas sa lâcheté. A travers ce film, Kazan pose donc l'éternelle question du bien et du mal ; au final, à travers la relation entre Cal et son père, la vraie réponse que semble apporter le cinéaste peut se résumer en une interrogation : et si le vrai mal, c'était de ne pas être aimé?
Sur le plan formel, A l'est d'Éden peut être défini comme un film typique de l'ère Hollywoodienne classique (Soin extrême apporté aux espaces avec des scènes d'extérieurs grandioses...). Toutefois, Kazan ose quelques fulgurances visuelles qui confinent à une certaine modernité comme lors de cette scène entre les deux frères et leur père, à table. La caméra de Kazan ose le décadrage, les plans inclinés pour signifier les relations conflictuelles et la douleur d'une famille en constante incompréhension. Le plan semble «cassé», comme l'âme des protagonistes. Le film nous gratifie en ce sens de plusieurs scènes percutantes et somptueuses qui restent gravés au panthéon de l'histoire du cinéma. A l'est d'Éden, porté par un magistral James Dean reste comme un cri de rage et de douleur qui nous touche en plein cœur. L'acteur disparu à 24 ans se fait le porte-étendard d'une jeunesse tourmentée et meurtrie. Une jeunesse qui a le mal de vivre et cultive la solitude pour fuir la violence des relations sociales et surtout, fuir cette famille qui ne comprend pas la souffrance liée à ce manque d'amour et de repère. Avec La Fureur de vivre et Géant, A l'est d'Éden fait partie des trois grands classiques qui ont formé le mythe de James Dean.