Fight Club par Vincent Formica
Fight Club, du réalisateur David Fincher, sorti en 1999 est un véritable petit bijou lorgnant du côté d'Orange Mécanique de Stanley Kubrick. Adaptation du roman éponyme de Chuck Palahniuk, le film est une satire violente et jubilatoire sur la société de consommation et sur l'individualisme et la solitude qui rongent l'homme.
Edward Norton, qui n'a pas de nom dans le film est un expert en assurances, solitaire et dépressif. Insomniaque, il traine ses guêtres dans les associations dites de « thérapie de groupe » afin de se sentir vivant en cotoyant des personnes qui souffrent bien plus que lui (alcooliques, cancéreux...). Ce monsieur tout-le-monde ancré dans une existence morne, monotone et sans relief d'employé de bureau cherche donc par tous les moyens à mettre du piment dans sa vie. De retour d'un voyage d'affaires, il rencontre Tyler Durden (Brad Pitt), un vendeur de savons excentrique et sans inhibition qui va bouleverser son existence.
Brad Pitt et Edward Norton sont les deux faces d'une même pièce. L'un n'ayant pas le cran de vivre l'existence qu'il voudrait et l'autre étant un provocateur auto-destructeur totalement déshinibé qui crache à la face de la société. C'est ce que le long-métrage de Fincher se veut, une dénonciation d'une société purulente basée sur la consommation, l'individualisme et l'hypocrisie. Tyler Durden assènera cette phrase lourde de sens : « Les choses qu'on possède finissent par nous posséder ». En ce sens, Fight Club subvertit totalement tout le message consumériste que véhicule la société moderne en prônant l'idée que la consommation serait une aliénation et qu'il faudrait s'en affranchir. Grâce à Durden, Norton va pousser ce précepte jusqu'à son paroxysme dans un déchainement de violence sèche. Empreint d'un humour corrosif et féroce, le film abat une par une toutes les barrières et contraintes liées à la vie d'un homme « normal ». Critique du travail salarié aliénant, de la consommation qui ne fait que pallier à une solitude extrême et une misère morale, Fight Club choque et propose un message qui fait office d'électro-choc en dénonçant une société qui met en avant les « possessions » des hommes au lieu de « l'homme » en lui-même. On se plaira par exemple à voir Edward Norton accumuler les meubles Ikéa qui ne lui servent même pas juste pour posséder les dernières tendances.
Fincher tient son film pétage de plomb. A l'instar de Chute Libre de Joel Schumacher (où l'on voyait Michael Douglas, employé de bureau tout juste viré se révolter en devenant un criminel sanguinaire), Fight Club se nourrit des bas instincts de l'homme pour ramener celui-ci au centre des préoccupations. Et tout cela passe par le rapport au corps. C'est pour cela que la violence montrée par Fincher dans le film se veut réaliste et sale...Les os craquent et les corps souffrent pour ramener l'esprit à la vie ; comme pour faire sentir à tous ces corps que la vie brûle à l'intérieur de soi et que tout ce pseudo-confort qu'offre l'argent n'est pas forcément fait pour nous libérer mais pour nous garder gentiment enfermés à l'intérieur du système dans des cases bien étiquetées avec interdiction de sortir des sentiers battus. L'oeuvre s'inscrit donc dans cette lignée du film « pétage de plomb » et on notera également le parallèle évident entre le personnage de Norton et Travis Bickle dans Taxi Driver de Martin Scorsese. Comme Travis, Norton vit en marge, est insomniaque, n'a plus goût à rien et va réussir à s'affranchir de son aliénation mentale uniquement en revenant aux fondamentaux, sa bestialité, en passant à l'acte. En quelque sorte, le personnage se réhumanise dans une société qui déshumanise de plus en plus.
Fight Club est une oeuvre stupéfiante et démontre le talent de David Fincher à travers une mise en scène impeccable remplie de trouvailles et de fulgurances visuelles ingénieuses qui subliment le scénario de Jim Uhls. L'interprétation d'Edward Norton et Brad Pitt, viscérale, sombre et puissante est formidable et force l'admiration. La présence d'Helena Bonham-Carter en contrepoint féminin dans cet univers testostéroné est aussi truculente ; la comédienne apportant toute son énigmatique beauté au film ainsi que sa puissante fragilité. Fight Club, brûlot subversif et orgasmique.