Le film commence ainsi, sur une bande-son paradoxalement à la fois stressante et reposante selon le moment, sur une typographie rose tape-à-l'oeil. Le "La la la la la la la" résonne sans cesse dans nos oreilles, nous berçant à moitié comme l'on berce un enfant au bord du berceau. Et il va falloir que l'on soit bien bercé pour l'épreuve qui nous attend pendant les deux heures à venir. Deux heures de suspense, de doutes, de réflexion, où l'on voit progressivement évoluer la grossesse d'une femme pourtant pleine de vie, qui va malheureusement choisir le mauvais immeuble pour y faire sa vie, avec peut-être pas le bon amant non plus. M'enfin, quand on est jeunes et naïfs, on ne soupçonne pas ce qui peut nous attendre en mangeant la mousse au chocolat du voisin...
Durant tout le film, nous avons peur. Mais pas peur pour nous, comme c'est le cas dans bon nombre de films. Pas de screamers sans intelligence, de monstres pas beaux, et même l'ambiance, bien qu'effrayante, ne l'ait pas dans une forme primitive d'effroi. Non, au final, cette peur, nous la ressentons pour l'héroïne, car nous ne voulons pas qu'elle subisse le Destin que nous lui imaginons progressivement tout le long de l'histoire. Si au début, ceux ne sont que des doutes, des indices, des symboles, qui nous montrent que notre couple s'embarque dans une sale affaire, au fur et à mesure, on comprend le piège qui se referme sur l'héroïne. On voit peu à peu le piège se refermer sur cette pauvre femme, qui croit en son entourage, en son amant, en son médecin, comme nous tous on croirait dans de telles circonstances. Et pourtant, de nos yeux de spectateur aguerris et avec les indices que nous laisse Polanski, nous avons conscience qu'à chaque minute elle est un peu plus manipulée, qu'à chaque minute, peu à peu, elle est conduite au drame le plus total. Et pourtant, jusqu'à la toute fin, nous sommes comme elle. Nous savons que quelque chose ne va pas, mais jamais nous n'en savons réellement la saveur jusqu'à la dernière révélation. Les fils du complot se dévoilent peu à peu mais sans pour autant trop en dire, ce qui fait que nous ne sommes pas capables de totalement deviner la véritable couleur de la boule de laine originelle. Mais malgré cela, nous la ressentons.
Car oui, la beauté du film, c'est avant tout son ambiance, et les émotions qu'elle transmet. Sur une bande-son sublime et complète, l'histoire nous fait partager l'angoisse de Rosemary, cette dernière étant de plus en plus forte jusqu'à en devenir paranoïaque. Elle nous fait aussi partager son impuissance, l'impuissance d'une femme enceinte, faible, sans aucun véritable allié à part elle-même, ses proches la trahissant, perdant la vie ou n'ayant pas même la chance de pouvoir l'approcher pour l'aider. Par extension, elle nous fait partager sa volonté de défendre son enfant, avec un instinct maternel plus fort que tout. Se battant contre une oppression totale, on suit Rosemary dans ses tentatives désespérées de sauver son enfant des mangeurs de bébés, on la suit jusqu'à la dernière tentative, la plus forte, qui nous conduit à un final dont on ignore encore tout. Et là, nous vivons avec elle la lourde chute. L'effroi total, la détresse ultime, face à son enfant vivant, face à son enfant encore en sa possession, mais surtout face à son enfant transformé en monstre par des monstres, ceux qui l'entourent alors, dont son mari, dans un brin de fantastique presque trop fort pour le coup. Avec un bébé que plus rien ne peut sauver, tout juste une chance de pouvoir s'en occuper, on est alors aussi interloqués que notre héroïne chétive, et on se demande avec désarroi ce qu'elle va bien pouvoir faire maintenant. Tuer son enfant ? Tuer les responsables ? Se suicider ? Tout ça nous traverse l'esprit, mais au final, la réponse la plus logique et choisie est aussi la plus poignante.
Jusqu'au bout, Rosemary reste une mère, et avec émotion, nous la voyons mouvoir le berceau de ce dernier. De ce monstre créé en deux heures de film, le dénouement de cette angoisse finalement avérée qui nous prend aux tripes, mais qui au final, reste l'enfant qu'elle voulait absolument protéger et dont elle espérait tant. Et en le berçant manuellement, nous, public incrédule, entendons encore une fois ce chant récurrent, qui sert de berceuse à un spectateur trop stimulé par la détresse du final, et à un enfant désiré mais non désirable d'une mère plus si pleine de vie que ça. La la la la la la la...