Le dernier jour de condamnés
Rosencrantz et Guildenstern sont deux personnages brièvement cités dans Hamlet dans lequel ils ont dans un premier temps chargés de découvrir la cause du mal être d'Hamlet (son oncle a tué son père pour épouser sa mère, remember ?) avant de s'embarquer avec lui pour l'Angleterre pour l'éloigner du royaume quand il devient certain que le bonhomme s'est mis en tête de jouer les trouble fêtes.
Or dans le cas qui nous intéresse ici, Rosencrantz et Guildenstern c'est surtout Holdman et Roth (ou Roth et Holdman, rien n'est jamais clair).
Au début du film, deux types chevauchent à flanc de colline. Soudain l'un deux trouve une pièce. Il descend de cheval, se découvre et ramasse la pièce. C'est Gary. Après avoir astiqué la pièce sur le revers de sa veste, il la lance et, la saisissant au vol d'un geste prompt la plaque aussitôt sur le dos de sa main. Face.
S'ensuit une impressionnante série de pile ou face invariablement soldés par des faces. Pendant ce temps là l'ami Tim fait les cent pas (ou du moins son cheval) mais finit semble t'il par s'impatienter et rejoint enfin notre infatigable Gary tout à sa tache.
A ce moment là on se dit chic, il va lui mettre une bonne taloche on va pouvoir avancer un peu. Au lieu de ça il ôte lui aussi son foulard, le regarde faire une minute puis décide de parier sur le prochain jet.
Et c'est comme ça tout le long.
Gary et Tim sont complètement déphasés, rien ou presque ne les atteint et les quelques questions qu'ils se posent sont très vite éludées au profit de joutes verbales et autres réflexions philosophicomystiques sur la mort.
Car Rosencrantz et Guildenstern ne se rappellent rien mais n'en ont cure. Incapables de se souvenir ne serais ce que de leur passé ou de leur identité (si ce n'est que l'un d'eux et Rosencrantz et que fatalement l'autre doit être Guildenstern) nos deux larrons finissent par se laisser porter par les événements, allant d'un passé inconnu à un avenir incertain.
Rosencrantz et Guildenstern sont en effet ce qu'on appelle des personnages : ils n'existent qu'un bref instant et le reste n'est que néant : un personnage n'a pas d'histoire. Et peut être est ce pour cette raison d'ailleurs que les deux gredins passent leur temps à discourir à grand renfort de jeux de manche : peut être savent ils tout simplement que dans leur cas quitter la scène (ou plutôt l'écran) c'est mourir. Ce n'est ainsi pas un hasard s'ils finissent [SPOIL] par mourir de la main d'un acteur, un personnage n'ayant au final que la vie qu'un acteur veut bien lui prêter.
Du point de vue histoire maintenant c'est plutôt pas mal et même si le début est assez étrange on arrive assez vite à reprendre ses marques et à se situer au sein de l'histoire d'Hamlet qui s'avère ma foi plutôt bien retranscrite. On pourra à la rigueur se plaindre du caractère spartiate de certains décors (qui à dit tous ?!) mais rappelons tout de même que ce film est avant tout l'adaptation d'une pièce écrite des années plus tôt par le réalisateur et que bien qu'aujourd'hui transposée sur grand écran elle reste avant tout un drame comme le rappellent continuellement les longues tirades des acteurs (tous très bons en passant).
Je finirait en soulignant la présence dans ce film de deux passages tout à fait remarquables à savoir la partie de questions pratiquée par nos deux impayables larrons sur un terrain de jeu de paume (ceux qui ont vu comprendront) qui vaut le détour et souligne une fois encore le talent du duo d'acteurs et la représentation d'Hamlet donné par la troupe (à la fois mise en abyme et habile résumé de l'histoire prise en cours), tout particulièrement dans sa première partie plus dépouillée et expérimentale que j'ai trouvé tout simplement fabuleuse.
Pour conclure Rosencrantz et Guildenstern sont morts apporte son lot de réflexions sur les personnages de fiction mais laisse aussi au lecteur tout un tas de questions sans réponses. Ainsi certains passages comme ceux (nombreux) où Gary s'amuse à redécouvrir les règles de la physique ou celui encore plus mystérieux et anachronique où ce même Gary fabrique un avion en papier n'ont de cesse de laisser perplexe le pauvre spectateur déjà rendu à demi groggy par les échanges ininterrompus de bons mots et de considérations métaphysiques.
Mais à mon sens la plus grande question qui se dégage de ce film reste celle de savoir si on l'a aimé ou pas et vous n'aurez qu'à jeter un œil à ma note pour comprendre que ma décision à ce sujet reste à l'image de nos deux héros : pour le moins confuse.