Rouge, derrière ses airs de simple histoire d'amour impossible entre une prostituée et un fils de bonne famille, se déroulant au début du siècle dernier, à Hong-Kong, et qui n'ont eu d'autre solution que de mourir pour être ensemble à jamais, cache bien son jeu. Première surprise, nous nous retrouvons assez vite en terrain contemporain, et après quelques secondes de doute où on se croirait en présence d'un roman de Marc Lévy avec ce revirement fantastique de revenante venant rechercher son amoureux par-delà le temps et la mort, rapidement le ton devient très pessimiste, voire vénéneux. Est alors questionné l'amour soit-disant éternel, tout en mettant en avant l'intensité des sentiments vécus, qui, peut-être, ne pouvaient pas durer à cause de cette intensité même. Un zest d'humour est aussi injecté, apportant une sérénité toute relative chez le spectateur, ne serait-ce que par la présence saugrenue de cette femme d'un autre temps, et en même temps magnifique, incarnant une féminité absolue.
Et Rouge a plus à offrir encore, en se faisant le témoin d'une époque révolue à travers le regard de cette revenante qui ne reconnaît plus sa ville, dont l'absence des lieux chéris est douloureusement ressentie. A ce propos, rarement les quartiers de Hong-Kong ont été filmés ainsi, rappelant par là un certain Wong Kar Wai à ses débuts dans la manière brute de filmer ces environnements urbains, mais pour autant, la direction prise du film est très différente, à l'image de cet hommage fait à l'opéra de Pékin (quelques chansons au programme, que j'ai trouvées pour ma part très belles, et servant très bien le propos quelque peu nostalgique du film) et de son évolution, notamment via une séquence précieuse, car rarement vue au cinéma, de Wu Xia Pian.
Rouge, au niveau du fond, a donc plusieurs cordes à son arc. Riche et touffu, mais ne se compliquant jamais pour rien. Et formellement, on n'est pas déçu non plus. La reconstitution d'époque est bien fichue, avec une emphase particulière sur les décors et les costumes. Surtout, Anita Mui, qui incarne Fleur, véritablement magnifiée par la manière dont elle est filmée, et offrant une belle illustration de cette femme aux allures froides, mais rongée de l'intérieur par cette passion, à la fois terrible et anachronique par rapport à l'époque qu'elle rejoint en second lieu. Leslie Cheung, égal à lui-même, lui offre une belle répartie dans le rôle de l'amant transi qui suivra, lui, une voie moins destructrice, mais tout en demie-teinte, d'autant plus déchirante.
Bref, Rouge s'adresse avant tout aux amateurs des histoires d'amour torturées, et si le volet fantastique un brin naïf ne contentera pas tout le monde (pour ma part, ce traitement plutôt léger m'a permis de mieux apprécier/digérer le reste), on peut aussi être sensible à sa réflexion sous-jacente sur l'évolution de la place de la femme en Chine, et aussi sur le temps qui efface ou remplace, tristement, lieux et sentiments.