Qu’est-ce que le cinéma ? Une question quasiment gnoséologique en ce que le film nous fait voir le cinéma pour son propre univers, une sorte de bac à sable de l’imagination quand la vue perd son sens. Et c’est littéral, puisqu’il porte sur la cécité d’enfants italiens privés des couleurs chaudes projetées habituellement par leur pays sur la pellicule, et enfermés dans une école spécialisée qui prétend les aider mieux en les privant de leur créativité.
Cette partie dénonciatrice, ce côté moralisateur de l’histoire vraie, n’est pas à porter au crédit de l’œuvre, car c’est ce qui l’empêche d’achever son expérience scolaire sauce Les Choristes. Elle parvient juste à porter sur l’aveuglement du spectateur quand à l’art qu’il contemple, parce qu’ainsi qu’on s’en rend compte pour répondre à la question initiale, le cinéma a d’abord été une discipline de l’œil.
Je n’irais pas jusqu’à dire que l’histoire ouvre les yeux mais il est curieux d’être transporté sur les terres auditives de ces enfants par l’image. Un peu contradictoire, mais en bien, et pas mal amené.
Toutefois, cela aurait dû suffire à Bortone, qui commet l’impair de faire toucher sa matière et son antimatière : la manifestation politique qui jaillit dans l’histoire et dont on découvre tard qu’elle vise l’école elle-même pour son conservatisme (aveugle ?), c’est une cachotterie pédante comme quoi film et inspiration s’égalent et s’annulent. Il n’y a même pas de montée en puissance politique autour du charismatique Marco Cocci pour donner de la vie au drame. Drame constitué par l’expulsion de l’école d’un gamin lésé dont on n’a pas idée comment la ville entière a pu en avoir vent.
Alors adieu l’aura de la haute-cécité, cette radiance d’un cercle des bruiteurs disparus qui aurait pu être grandiose. On aura tout de même droit à un regard perçant des jeunes acteurs sur leur condition, et à de belles ouvertures sur l’imaginaire. Même si la teneur dramatique n’est pas au rendez-vous, un grand soin est porté au fait de devenir aveugle, cette rage et cette impression que les choses doivent obéir si elles ne se laissent pas voir. Le tout dans une ambiance relativement forte de caractères affirmés qui contrebalancent certains manques.
Quantième Art