Un cadre géographique et temporel : 1917 et les suites de la révolution bolchévique, dans une région près de la Volga, au sud de la Russie. Un conflit opposant deux camps : les tsaristes et les communistes, ces derniers étant aidés par les sympathisants hongrois.
Et c'est à peu près tout ce qu'on saura du contexte dans Rouges et Blancs, un film de guerre impressionnant de maîtrise formelle, sans véritable fil narratif, sans qu'un personnage ne se détache véritablement par rapport aux autres. En pleine guerre civile, au cœur de la révolution, on assiste sur les bords du fleuve à un ballet incessant d'attaques et de contre-attaques, à une succession d'arrestations et d'exécutions sommaires, à des courses poursuites dans la campagne russe entre des Rouges qui se cachent et des Blancs qui les traquent, principalement. Très souvent, on est perdu dans les flux et les reflux des masses humaines, on ne sait plus vraiment quel camp on est en train d'observer. Entre les exécutions de prisonniers, de déserteurs ou de criminels de guerre, on perd régulièrement le fil des mises à mort.
Ce qui est sûr, c'est que la chorégraphie des combats orchestrée par Miklós Jancsó est hypnotisante, presque détachée de toute progression narrative, en dehors de tout cadre conventionnel qui identifierait des gentils et des vilains, des héros et des personnages récurrents.
Les plans sont très longs et naviguent autour du cours d'eau, dans un hôpital de campagne ou dans des champs de blé, en fuyant le gros plan pour mieux préserver la dimension anonyme de ces batailles. On identifie davantage des groupes de personnes, des blessés, des prisonniers, des infirmières, des cavaliers. Et ce qui frappe, c'est à quel point la répression sanglante des uns répond à la répression sanglante des autres. Les modes d'exécution semblent incompréhensibles, car arbitraires, absurdes, aléatoires, et bien souvent on ne sait pas si on fait déplacer ou déshabiller des personnages pour les laisser fuir, les faire danser ou les exécuter froidement. De ce point de vue-là, Rouges et Blancs brille par le sentiment d'incertitude totale qu'il parvient à rendre tangible.
Assez vite on comprend qu'il n'y aura pas d'explication quant aux critères qui font qu'on libère ceux-ci ou qu'on exécute ceux-là. Il n'y a pas de règle, chaque arrestation obéit à ses propres règles, selon les forces en présence. C'est une plongée dans l'irrationnel qui conduit les deux camps aux mêmes actes de cruauté, sans que l'on ait le temps de s'attacher à qui que ce soit. D'un moment à l'autre, d'une séquence à la suivante, les vainqueurs deviennent les vaincus, à la faveur d'un énième retournement de situation.
Et il reste en mémoire de nombreuses scènes marquantes : une forêt de bouleaux dans laquelle un peloton emmène les plus jolies infirmières (pour leur faire danser une valse), une femme nue que l'on invite à aller nager, un homme qui se suicide avant d'être fait prisonnier, et surtout ce long plan-séquence final qui voit une troupe entière de Rouges se jeter dans la gueule du loup, en chantant la Marseillaise (en hongrois) en avançant au loin, face à une armée largement supérieure en nombre.
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