Alors que le générique ouvre le bal, l’absence de musique surprend : cette quiétude inattendue laisse coi et exacerbe la fausse tranquillité d’une forêt assombrie, en plein éveil. Les crédits défilent et l’immersion s’opère sans fracas aucun : la tension monte savamment, le danger guette dans l’ombre... voici justement les premières notes, accompagnées du lugubre chant des limiers. Au terme de cette introduction absolument somptueuse, la terrible chasse nous happe : les ombres s’estompent au profit de silhouettes reconnaissables, le vulpes et sa progéniture fuient une menace hors-champ pesante.
Le dénouement, funeste, rappelle non seulement Bambi mais aussi que Disney en a encore sous la pédale au sortir d’un Bernard et Bianca décevant, l’improbable Rox et Rouky réussissant parfaitement là où les deux souris avaient échoué : l’équilibre entre les tons frisera de bout en bout la perfection, et la nostalgie aura son comptant de baffes mémorables. Son fameux générique est à ce titre sidérant d’audace (à l’échelle de productions de ce calibre), celui-ci annonçant une maturité inespérée et surtout marquante dans son approche : la couleur est donnée.
Si je conservais des souvenirs affectueux du dernier film auquel participera Wolfgang Reitherman (ainsi que deux autres membres des Nine Old Men), je ne m’attendais donc pas à ce que celui-ci dépasse mes espérances à ce point : le récit est empreint d’une alchimie frisant la perfection, la tendresse d’une amitié naïve tranchant avec l’âpreté d’une vie cruelle, tandis qu’une légèreté de ton bienvenue confère au tout une savoureuse teneur comique. En dépit d’une brillante simplicité narrative, Rox et Rouky aura donc le nez fin jusqu’à son terme, celui-ci ébauchant en une petite année marquée par les saisons une aventure transcendant son matériau enfantin.
Convenant que le long-métrage repose en grande partie sur une thématique plutôt classique, où deux êtres intimement liés vont être séparés par une cruelle et inexorable Nature, il n’en demeure pas moins qu’un ensemble de petites choses lui permettent d’en tirer le meilleur : une rencontre cocasse où le pisteur confie au pisté qu’il poursuit une piste, un duo de piafs burlesques portés par d’excellents doublages (Arlette Thomas et Roger Carel), l’exquise balance entre une candeur attendrissante et la sauvagerie d’une prédation omniprésente, la tristesse infinie d’un « abandon » frôlant le tire-larme (le morceau Pourquoi faut-il se quitter n’illustre que trop bien la maestria musicale de l’œuvre)... et tant d’autres encore.
Au final, seul le segment « romantique » paraît forcé tant il est lourdaud dans son exécution, comme aux antipodes de la finesse régissant dans les grandes lignes Rox et Rouky ; nous pourrions également pointer du doigt la caricature qu’est Amos Slade, mais son usage est tellement habile qu’il en est tout autre : il suffit d’ailleurs de se référer à cette ultime confrontation où, tenant enfin sa proie à sa merci, il se ravise à la « demande » de son limier. Cette séquence est hallucinante de retenue, le silence reprenant momentanément ses quartiers, et l’on frissonne devant cette étincelle d’humanité que les animateurs seront parvenus à insuffler dans de noires pupilles... quel tour de force !
L’effet est d’autant plus estomaquant qu’il succède à une course-poursuite intense au possible, jusqu’à son paroxysme marqué du sceau de la brutalité avec cet ours proprement terrifiant : en terme de contraste, ça se pose ! Une énième et incroyable rupture de ton à même de marquer les esprits, non contente de préfigurer un tomber de rideau ni facile, ni frustrant... bravo. Rox et Rouky m’aura donc emballé dans sa totalité, ses atmosphères à la sauce « Chasse et Pêche » et « Nature et Découvertes » étant de fait délicieuses à souhait ; et il va bien entendu sans dire que sa riche palette de tonalités, sous un vernis faussement léger, n’est pas indifférente à pareil coup de maître.