RRR
7.7
RRR

Film de S.S. Rajamouli (2022)

Il était une fois la RRRévolution

L'époque est morne, l'atmosphère est anxiogène, le climat est étouffant et le cinéma tire la gueule. Bienvenue dans cette année de merde qu'est 2022.

Cela fait un moment qu'Hollywood ne sait plus rien proposer, que l'usine à spectacles tourne à vide dans un système de productions à la chaîne marvelisé, formaté et totalement aseptisé.

Dernière victime en date : Sam Raimi, autrefois génie fou de la caméra aux mille idées, désormais totalement digéré et vomi par ce système, et dont le cadavre créatif a été foutu à la tête de ce produit sans âme qu'est Doctor Strange and the multiverse of (pas du tout) madness, énième prod honteuse et dénuée d'imagination de cet immense fossoyeur de talents qu'est Marvel.

Triste époque, où d'immenses réals tels que John McTiernan, Robert Zemeckis, Steven Spielberg ou les soeurs Wachowski tombent dans les limbes du box-office ou sont totalement oubliés, quand d'autres tels que James Cameron, Mel Gibson ou George Miller se limitent à un film par décennie. Et donc, en terme de grand spectacle total, nous sommes arrivés dans l'ère des tacherons. Des pantins de studios infoutus de penser l'action, d'imaginer le spectacle, d'inventer de nouvelles formes de mise en scène propres à faire jouir son spectateur et créer de nouveaux souvenirs forts d'un grand cinéma, populaire, avec de nouvelles mythologies et de nouveaux héros.

Cette façon d'être incapable de chercher de nouveaux talents, de proposer de nouvelles histoires condamne un système entier à s'autocannibaliser par peur du risque ou simple facilité purement cynique.

Et mis à part la volonté absolue d'un Tom Cruise, dernier artisan du blockbuster, tout se casse la gueule.

Ouais, cette décennie nouvelle est déprimante.

Et c'est dans ce no man's land de grand spectacle pensé pour le grand écran que débarqua en Mars dernier une tornade qui allait tout bouleverser. Enfin qui aurait pu tout bouleverser, si on lui avait donné sa chance.

Car si RRR est une bombe filmique totale, un chef d'œuvre qui revitalise à lui seul le spectateur en manque de sidération et une baffe qui ridiculise en 3h, 10 ans de productions hollywoodiennes au point de devenir le plus immense film d'action depuis un certain Mad Max : Fury Road, c'est au prix d'une sortie purement confidentielle.

RRR est le meilleur film de l'année, mieux, de la décennie , pour ceux qui aiment quand le cinéma est surtout un art du mouvement, de la gestion de l'espace et du temps, et propre à construire de nouvelles mythologies. Encore fallait-il savoir :

1- que le film existe

2- si une salle était en mesure de le proposer

RRR n'a été ni vraiment vendu par son pays d'origine, qui ne fait pas vraiment d'effort non plus hors circuit américain, ni vraiment promotionné, ni vraiment distribué ici. Encore aujourd'hui, il est impossible de savoir si le film sera proposé en Blu-Ray, ou sur Netflix prochainement. Vous avez raté le film en salle? Pas de soucis, vous le raterez surement en vidéo ou sur votre TV également.

Monde de merde.

Mais du coup, pourquoi c'est génial RRR?

12ème film de SS Rajamouli, le cinéaste a, de film en film, perfectionné sa mise en scène et son écriture pour arriver aujourd'hui au sommet de son art. RRR offre à son réal son plus gros budget, et le coquin utilise chaque sou à l'écran. Les décors, les costumes, la pyrotechnie, la photographie, tout est monstrueusement léché, un déballage de tous les instants dans une immense durée de 3h07 qui mélange, bromance, romance, action, drama, aventure, comédie musicale avec une gestion du rythme tout simplement épatante.

Incontestablement, Rajamouli connait et comprend le (bon) blockbuster américain ET le cinéma d'action hongkongais beaucoup plus fou, violent et débridé dans ses idées et la scénographie.

De ces deux univers, Rajamouli livre la meilleure des fusions. Ample, épique, visuellement sublime et conceptuellement taré, RRR est une immense fresque qui commence à 1000 à l'heure et sait continuer sans jamais s'essouffler dans un sens du tempo qui arrive à donner les respirations au bon moment avant de repartir dans des scènes d'actions toujours plus démesurées.

De son premier moment de bravoure livré au bout de 8 minutes, et relecture jouissive du 1 contre 1000 de Matrix Reloaded à sa dernière fulgurance aussi iconique qu'explosive, le film enchaine les séquences dantesques et jamais vues, instillant autant d'énergie dans ses innombrables climax pétaradants que dans ses séquences musicales fiévreuses. Tout est merveille de cadre, de montage, de découpage, de musique, et les effets numériques, pourtant grosse épine dans le pied du cinéma d'action indien contemporain sont presque tous au diapason pour offrir au récit ses idées les plus givrées.

Tous les moyens sont offerts à Rajamouli pour aller au bout de ses séquences folles, et le réal ne se prive jamais d'exécuter les concepts sidérants dans un sens de la générosité et le but majeur d'en mettre plein la gueule à son spectateur. Il sait quand utiliser un plan en dur ou quand introduire des effets visuels, toujours dans la volonté d'un pur plaisir primal de grand spectacle, de cinéma total.

Le réal préféré de Rajamouli est Mel Gibson, et ça se voit. D'une séquence de torture et des utilisations de ralentis iconiques, il reprend La Passion du Christ, de sa façon de composer son cadre de milliers de figurants, du sens épique de son récit, il reprend Braveheart, du côté sauvage et animal de sa violence et de ses personnages, il reprend Apocalypto. Auquel on peut rajouter la virtuosité et la folie de Mad Max : Fury Road et la sincérité et le premier degré absolu de ses protagonistes que n'aurait pas renié Spielberg ou encore la technicité d'un Cameron.

Un cinéaste qui comprend et digère aussi bien ses classiques, c'est toujours beau et nul doute qu'avec une meilleure visibilité, RRR aurait pu être le film qui aurait pu tout changer dans la façon dont un public occidental perçoit le cinéma indien encore enfermé dans une vision stéréotypée d'univers bariolé et coloré peuplé de chansons toutes les 8 minutes.

Ce qui est fascinant, c'est que Rajamouli reprend la mythologie de son pays, des dieux indiens pour l'infuser dans ses personnages principaux pour en faire eux-mêmes des demi-dieux absolument inarretables une fois liés ensemble et donc des super-héros absolus qui dans leurs actions, dans le charisme et leur développement EXPLOSENT tout film de super-héros commis par Hollywood depuis... Spiderman 2 de Sam Raimi.

Cette critique devient trop longue et j'ai l'impression de n'avoir qu'effleuré le monument qu'est RRR, j'ai toujours pas parlé de son duo principal à l'alchimie évidente et au charisme stellaire. Cela vaut pour N. T. Rama Rao Jr bien sûr et encore plus pour l'incroyable Ram Charan, monstre de force, de beauté, de présence, acteur complet capable d'être le meilleur des amis et le pire des tortionnaires en une bascule de scène. Il est impossible de quitter les yeux de l'écran dès qu'il apparait, et donne envie que d'une chose en sortant de la salle : casser des murs, transpercer des punching-balls, prendre des cours de danse, et devenir un aussi bon être humain que Ram Charan. Bordel, quelle révélation, quelle classe, ce type illumine tout.

Alors oui, oui, oui, je suppose que le film n'est pas exempt de défauts. Et les pisse froids pesteront que le film ne cherche jamais le réalisme, qu'il est toujours dans l'excès, la frénésie, le what the fuckisme. Tant pis pour eux. Et si vous en avez dans votre entourage, ben changez d'amis.

Mais je dois dire que RRR me remplit tellement de joie, de propositions absolues de cinéma que j'ai à peine le temps de me dire "ouah les méchants colonisateurs britanniques sont vraiment méchants, caricaturaux et souvent joués de manière grotesque" que je me fais exploser ma p'tite gueule par la séquence musicale Naatu Naatu, à peine le temps de penser que, quand même les héros ont parfois des idées complétement éclatées, que je me fais laminer par terre à coups de fouet à clous dans les côtes par une autre séquence d'action jouissive et galvanisante.

Galvanisant donc, parfaitement pur et absolument dénué de cynisme, ce qui devient quasiment impossible dans le chaos cinématographique grand spectacle actuel. RRR est donc un véritable joyau, une déclaration d'amour cinématographique totalement premier degré et désarmante, dont les menus défauts sont balayés par les immenses qualités, et dont, l'une des plus géniales est, par son récit émancipateur et anticolonial TRES frontal, de donner une puissante envie de révolution, de cramer dans un immense feu de joie l'Elysée, les institutions établies et avilissantes de cette époque morne, anxiogène et décérébrée avant de danser toute la nuit le Naatu Naatu sur les cendres de cette décennie claquée au sol.

Et voilà, je suis de nouveau en feu et je vais tout casser, il est grandement temps pour un 5ème visionnage. Merci pour tout RRR, et surtout de m'avoir redonné la foi envers le cinéma. Le grand. Le vrai.

Doctor-Gonzo
9
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le 21 sept. 2022

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