Rush
7.2
Rush

Film de Ron Howard (2013)

J’étais bon client de Formule 1, né assez tôt pour en apprécier le côté « du sang et des larmes », j’ai assisté à plusieurs courses dramatiques ou épiques, avant qu’une sécurité poussée à l’extrême ne vienne rendre ce sport transparent et insipide pour qui aime les combats de gladiateurs à grands coups de volant. J’ai le souvenir du grand prix de Monaco 1996 où, roulant sous des trombes d’eau, seules six voitures avaient pu rallier l’arrivée, offrant à Olivier Panis une victoire sur méritée mais inattendue. Mais j’ai autant le souvenir d’avoir fondu en larmes (à 20 ans j’ai bien fait rire mon père qui ne partageait pas mon enthousiasme pour ce sport) lors du dramatique grand prix de Saint-Marin 1994 à Imola (quel nom prédestiné…) qui couta la mort de deux pilotes sur le week-end, Roland Ratzenberger et le fabuleux Ayrton Senna et lança la course à la sécurité qui fit que la victoire au volant d'une monoplace se jouait désormais non plus sur le seul pilotage, mais aussi sur le choix des pneumatiques avant course, la quantité d’essence embarquée au départ et le nombre de passages aux stands. Finis les dépassements, fini le spectacle, finis les morceaux de bravoure mais c’est vrai aussi, finies les morts.

Je n’étais pas bon client de Ron Howard, non pas que je n’aime pas l’individu, j’ai toujours eu une préférence pour son personnage de Richie dans Happy Days, dans lequel je me reconnaissais particulièrement. Mais en tant que réalisateur, j’ai eu l’impression qu’après quelques films marquants, il a vite suivi une pente plutôt glissante. Cocoon, Willow ou encore Backdraft m’avaient vraiment convaincu, tandis Apollo XII manquait déjà un peu plus de cran, livrant un huis-clos par trop aseptisé. Il a bien fallu une moyenne étonnante sur Sens Critique, un sujet avenant de mon point de vue et quelques critiques dithyrambiques pour attirer mon attention et me dire que je pouvais bien laisser une dernière chance à Richie qui avait l’air si gentil dans Happy Days.

J’ai été bon client de Rush, qui restera pour un long moment la référence en matière de films de courses automobiles qui, il faut le dire, n’avaient jusque-là comme référence que Jours De Tonnerre. Une comparaison sonne comme une évidence, si Top Gun a la réputation d’images aériennes superbes, alors Rush offre de magnifiques images de Formule 1, d’une mise en scène qui ringardise la rediffusion des grands prix. Le rendu de la vitesse est superbe, les reconstitutions d’accidents sont stressantes de réalismes. Le travail sur le son est une trouvaille, même si le vrombissement des moteurs a failli réveiller mes trolls plus d’une fois. Le niveau d’enregistrement étant beaucoup élevé lorsqu’ils montent dans les tours que lorsque James Hunt et Nikki Lauda échangent quelques amabilités, ça devait être très bon de le voir au cinéma.

J’ai été excellent client de James Hunt et Nikki Lauda, de Chris Hemsworth (aux faux-airs de Brad Pitt) et Daniel Brühl. Le premier idéal en jeune fou du volant à la vie dissolue et adepte des excès sous toutes leurs formes et pas juste de vitesse. Le second (dont je suis un grand fan) juste habité par un Nikki Lauda déterminé, franc du collier et professionnel qui a tant de mal à se relâcher. S’il a passionné les foules, ce duel entre deux pilotes était aussi celui de deux personnalités que tout opposait, mais qui au final se sont retrouvées dans l’art du volant. Ron Howard rend cette guerre des meilleurs ennemis avec une clarté presque documentaire. James Hunt, génie naturel du volant, pochtron aux heures perdues, dragueur de bombes atomiques, beau mec mais qui a du mal à maitriser sa fougue. Nikki Lauda austère, d’une franchise à toute épreuve quelles que soient les circonstances (ce que les deux pilotes se sont envoyé à la figure est juste sidérant, mais très amusant), mécanicien de génie, travailleur à la volonté de fer mais aussi capable de coups bas pour 1,5 centimètres de pneus en trop.

C’est un vrai retour avec un vrai grand film de Ron Howard, qu’on n’espérait plus à un tel niveau. Il signe un film qui a su s’équilibrer entre la nervosité propre à des courses de Formule 1 (qui, à l’époque, causaient la mort de quatre pilotes chaque année) et l’exploration de deux gladiateurs qui n’auraient certainement jamais atteint un tel niveau de pilotage s’ils ne s’étaient pas combattus. D’une narration fluide, d’une image soignée, d’une mise en scène équilibrée entre sentiments et action et malgré une bande originale un peu trop grandiloquente, Ron Howard accouche d’une œuvre qui fédèrera les aficionados ou non autour d’une page mythique du sport automobile qui, au détour d’un virage devenu maudit, a révélé au monde deux belles humanités.
Jambalaya
9
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le 6 janv. 2014

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Jambalaya

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