Devenir la bête.
Nominé pour la Palme d'Or au Festival de Cannes en 1963, "Sa majesté des mouches" est l'adaptation par Peter Brook du roman éponyme de William Golding, récit que j'avais découvert en classe de...
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le 22 nov. 2014
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Je gardais un souvenir très diffus du roman de William Golding que j'avais lu étant enfant, c'est donc l'esprit totalement neutre et débarrassé des attentes que l'on peut avoir lorsque l'on se penche sur une adaptation qui par définition est une relecture du matériau originel.
Le synopsis nous invite à suivre, ou plus exactement à observer, comment un groupe d'enfants rescapés d'un crash aérien sur une île déserte vont petit à petit s'organiser d'une part pour leur survie mais très vite en société humaine.
Le projet en lui-même tenait particulièrement à coeur Peter BROOK et le concours au départ du producteur Sam SPIEGEL qui tout fraichement auréolé des succès critiques et publics de Lawrence d Arabie (1962) et Le Pont de la rivière Kwaï (1957) devait l'aider à finaliser et monter son projet, hélas bien vite de fortes dissensions entre le réalisateur et le producteur fusent mises à jour, ce qui écarta Sam Spiegel et obligea Peter Brook à revoir ses plans et à remonter un financement, qui fût amputé d'une part importante.
Là où il aurait été facile d'en faire un film d'aventures, inspiré de classiques de la littérature enfantine britannique tel "Peter Pan", Brook décide au contraire d'installer de façon progressive une ambiance délétère, anxiogène et d'utiliser ses caméras comme des instruments d'observations, quasiment des microscopes dans lesquels le spectateur est amené à observer la petite communauté se construire et se forger aussi bien ses mythes, que ses règles. Tout comme l'enfant observe la fourmilière et perçoit de façon innée les hiérarchies et les modes de fonctionnement se mettre en place.
Le dispositif des caméras est d'une simplicité proverbiale, une première tenue par Brook s'attache à filmer selon ses désirs de mise en scène, le scénario et les plans qu'il avait en tête, l'autre confiée à son ami Gerry Feil captera dans un esprit libertaire entier aussi bien les phases d'improvisations des jeunes acteurs que l'altérité d'abord équilibrée puis finalement complètement mise à mal entre le projet de société idéale d'abord tentée puis son inéluctable basculement vers cet autre chose guère reluisant, guère tentant qui absorbera cette douce utopie en un monde réduit mais malheureusement très vite envahi par les mêmes névroses et tics que le monde dont ils sont issus.
En effet, c'est bien de notre société - et j'emploi le présent à dessein tant il me parait qu'encore aujourd'hui nos sociétés occidentales pêchent des mêmes travers que ceux dénoncés par Peter Brook - dont il est question, finalement la question de la survie apparait rapidement comme secondaire pour laisser place à la question de l'organisation ou plus exactement le besoin viscérale et finalement triste et terrifiant de reproduire les mêmes schémas, le besoin d'une idole qui prend ici la forme d'une tête de cochon, que l'on charge de nous indiquer quelle morale et quelle philosophie suivre, le besoin d'un leader mais surtout d'une illusion de choix entre figures totémiques.
Veut-on suivre celui qui nous promet le status quo et une vie calquée sur celle d'avant ou celui qui nous promet les grands soirs et la liberté totale et universelle ?
Sommes nous dès lors certains que l'une ou l'autre des options qui se présentent à nous ont été pensées en y incluant les défauts et conséquences ?
Evidemment tout ce petit monde qui au début donnait l'illusion d'une certaine cohésion vole en éclats et tout comme dans le monde des adultes, tout comme l'occident traverse son histoire et ses relations aux autres par les guerres et la domination, l'un des groupes prendra ce rôle de "néo-colonisateur" quand l'autre qui pourtant jouissait au départ des mêmes cartes de jeu se verra réduit quasiment au silence et à une forme de terreur qui sied à nos petits esprits dictatoriaux.
La nature de l'homme, fusse-t-il un enfant, se fait jour et elle n'inspire pas l'optimisme, faisant de ce film, non seulement un objet d'art absolument passionnant, une réflexion désabusée sur nous, société humaine, un pamphlet ténébreux sur l'histoire occidentale et sa main mise sur tant de cultures et de peuples, mais paradoxalement l'ensemble est baignée d'une lumière solaire qui réussi malgré tout à maintenir une petite lueur très faible, très ténue dans ce tableau.
Si j'étais taquin je dirais que ce film illustre sous la forme d'une parabole biblique la monde idéal d'une certaine extrême droite, un monde régit par la domination du plus fort, où justice et équité sont absentes, réactionnaire, et intolérante à toute forme de progressisme, mais ce serait faire fi de positionnement absolument sans équivoque du réalisateur à ce propos qui se place à l'exacte opposé de cette vision restreinte.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Ma collection personnelle par ordre chronologique, Les meilleurs films de 1963 et Watzefuk !
Créée
le 24 août 2022
Critique lue 5 fois
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