Toutes les palmes animent les débats entre fervents cinéphiles, certains approuvant la diversité de ces films prestigieuseument récompensées tandis que certains remettent même en question la légitimité d'une telle sacralisation (il n'y a qu'à voir comment la palme de l'année 2017 , l'étonnant "The Square" a fait jaser l'année dernière).
Quoi qu'il en soit, celle ci fut osée, explosive et tellement classe !
Pour apprécier une telle oeuvre, je pense qu'il faut se laisser porter par son aspect atmosphérique car on est clairement devant un film à ambiance et ce n'est pas la séquence de voiture sous fond de Chris Isaak ou la scène de l'accident nocturne qui diront le contraire. Tout semble être fait pour nous emmener dans un trip à la manière de ce couple qui part en avale sur les routes américaines.
David Lynch, cinéaste torturé et artiste façonné de visions étranges semble avoir voulu transposé ses envolés lyriques à l'écran d'une manière faussement hollywoodienne pour décrire toute la violence d'une époque. Sailor & Lula c'est avant un conte ultraviolent traduisant l'ambivalence du genre humain: comment vivre son amour tendre et vraie dans une Amérique dangereuse et terrifiante ?
Car on est bien devant une réécriture du conte mais dans le monde d'orange mécanique. Et quoi de mieux, si l'on veut plonger rapidement le spectateur dans ce genre d'environnement, que de puiser dans le film sans doute le plus ancré dans l'imaginaire collectif américain en terme de conte enfantin: **Le magicien d'Oz* ? Ainsi David Lynch peut jouer un double jeu: jouer avec les grandes figures du conte: la sorcière, la princesse, les monstres, mais aussi faire un jeu avec le spectateur pour qu'il puisse retrouver tous les clins d'oeil aux magicien d'Oz disséminés tout le long du film, que ce soit des souliers rouges aux nains du village, références utilisées d'une façon kitsch et grossière pour mieux déconstruire le voile lyrique construit dans la première partie du film.
En effet, au début, les deux tourtereaux penseront pouvoir vivre leur amour passionnel, mais contraints de fuir ils se rendront vite compte comme deux adolescents que le monde n'est pas aussi tendre qu'ils le croient. Et cette remise en question sera symbolisée (enfin c'est comme ça que je vois la séquence) par la scène nocturne de l'accident où Sailor et Lula voient frontalement que la route, qui jusque là était surtout pour eux un prétexte de vivre leurs exaltations, est plus épineuse qu'ils le pensaient et que les briques jaunes sont craquelées. C'est la désillusion.
Si l'on ne se laisse pas porter par la mise en scène, on passe à côté d'un voyage jouissif. Tout est à fleur de peaux, sous le point d'imploser et exagéré pour dégager le côté exaltant. Rien que le bruitage d'une allumette qui s'embrase a été mixé avec des bruits d'explosion pour que ça crépite à nos oreilles.Il y a aussi les scènes d'amour, où David Lynch comme a son habitude, avec son chef opérateur, en profite pour expérimenter, en nous balançant à la figure des teintes colorés super saturées, qui nous font ressentir, et je dis bien au sens sensitif du terme, la flamme entre eux. Enfin la musique ! Oui la musique ! Ce film m'a fait aimé Elvis Presley ! Je pense que Nic Cage en est pour quelque chose, en effet il pue la classe à chanter le king avec sa veste en peau de serpent, symbole de son individualité personnelle. Et bien sûr maintenant Chris Isaak tourne en boucle quand je prend ma douche. A la manière des comédies musicales, ce film a deux séquences chantés toutes superbement tournés et qui en sont pour beaucoup à mon appréciation du film.
Je déplore quand même un peu le rythme que prend le dernier tiers du film, avec ce braquage un peu sorti de nul part, ou l'importance trop moindre que prend le personnage de Lula à ce moment là, coincée dans sa chambre.
Dans ce film vous croiserez donc des figures improbables tous droit sortis de l'esprit dingue mais tellement fascinant de David Lynch, et bien que ça ai pu en dérouter certains, pour peu qu'on ne se bloque pas et qu'au contraire on se laisse porter par cette forme peu commune au cinéma de raconter une histoire, on se rend compte que c'est une belle source d'inspiration que ce film. Alors en effet tout est exagéré, grossier et explosif, mais alors quand le film, parfois, daigne enfin prendre son temps, loin de la violence et des horreurs, on en ressent d'autant plus la force et on comprend que cet "home" dont Dorothé parlait dans le magicien d'Oz ne se trouve pas au Kansas mais dans nos coeurs.