Saint-Cyr est une film hautement improbable. Il avait tout pour être emprunt d'un mortel académisme avec portrait de Madame de Maintenon qui a envie d'émanciper les jeunes filles de la noblesse et qui parvient avec force à imposer sa volonté au roi...
Sauf que le film c'est l'inverse de ça. Il s'ouvre avec Huppert/Maintenon au lit avec le roi, directement placée comme la femme qui peut avoir un peu de liberté à condition qu'elle ouvre ses cuisses au monarque. La scène sera répétée juste après où alors qu'elle est pressée d'arriver à Saint Cyr accueillir sa première promotion, le roi vient pour tirer son coup au beau milieu des champs dans une calèche, alors que clairement elle a l'air moyennement consentante.
Ce n'est pas une femme forte, mais elle semble avoir une vision afin d'émanciper ces jeunes filles pour qu'elles n'aient pas à subir le même destin qu'elle, à devoir coucher, intriguer, pour avoir une bonne place dans la société. Huppert a un discours réellement féministe au début du film, mais qui a été contrebalancé par les coucheries que le roi lui impose. On voit tout de suite que quelque chose cloche.
L'autre truc qui cloche c'est les enseignements dispensés à Saint Cyr, ou plutôt comment ils sont dispensés, car vraie force du film qui donne immédiatement un sentiment d'authenticité c'est les langues régionales. Je crois que c'est la première fois que je vois un film tourné en patois. Les jeunes filles de la noblesse parlent leur langue et pas le français. Personne ne se comprend et il faut donc imposer le français comme langue de communication. Je ne parle pas des méthodes d'apprentissage du français, on n'était pas au sommet de la pédagogie. On les voit donc répéter avec un accent pas possible des mots qu'elles ne comprennent pas.
N'importe quel autre film aurait simplifié tout ça et aurait tourné tout le film en français et c'est à ce genre de soin apporté aux détails que le tout est crédible.
L'autre détail que j'ai apprécié c'est les tombes, on voit le cimetière s'agrandir, Madame de Maintenon regarder ses filles évacuées sur des brancards sans rien dire, intéressée par autre chose... La mort est banale, on ne s'en émeut pas.
Le film n'a pas réellement d'intrigue, pas réellement d'enjeu, on suit juste la relation entre deux gamines qui grandissent et le projet de Mme de Maintenon évoluer. Parce qu'il évolue... et il évolue drôlement lorsque Jean Racine, ou plutôt ses vers, procurent des émotions, ou plutôt de la passion chez ces adolescentes. Cette passion adolescente est effrayante pour Madame de Maintenon qui sent qu'elle ne va pas réussir à la contenir facilement et c'est là que le projet d'émancipation vire à un projet religieux extrémiste avec l'envoi notamment de jeunes filles au couvant.
C'est là peut-être le message du film, on a une femme qui a une vision et qui change de vision pour son école au fur et à mesure et qui perd les gamines en route, qui ne savent plus ce qu'elles doivent faire, comment elles doivent se comporter. J'aime beaucoup la fin pour ça, elle arrive de manière brutale, où on se rend compte que pendant toutes ces années à leur bourrer le crâne de choses et d'autres et à leur parler de liberté on ne leur a pas appris la seule chose, la chose la plus importante pour être libre : pouvoir se déplacer.
C'est un film cruel, qui n'épargne rien à ses personnages, il ne verse jamais dans le manichéisme, personne n'est gentil... Tout le monde pense bien faire... et pourtant rien ne réussit. Ce qui se joue là, c'est l'échec d'une forme de féminisme émancipateur qui était fondée sur le culte de Madame de Maintenon, comme si l'émancipation féminine ne pouvait pas apparaître dans une société aussi hiérarchique, comme si tout était vicié dès le départ. On n'émancipe pas si le but est de faire un beau mariage. On n'émancipe pas avec la religion. On n'émancipe pas si l'éducation est le fruit de la volonté d'une seule personne, fusse-t-elle une femme.
D'ailleurs les hommes ne sont pas au sommet non plus, ils sont libidineux, prêts à tout pour tirer un coup et n'ont aucun respect pour la gente féminine. Ce qui rejoint un peu les thèmes des autres films de Mazuy.
Rien ne sauvera ces filles.