Saint Laurent, un défilé esthétique. (Vu à Cannes)
Quelques semaines avant la sortie nationale de Saint Laurent, le film le plus élégant du festival de Cannes, il se murmure que Gaspard Ulliel aurait loupé de peu le Prix d'interprétation : étonnant ? Pas vraiment. Le come-back du jeune français fait grand bruit. Il a été Hannibal Lecter et Jacquou Le Croquant, cette année il fait son retour dans la peau d'un Yves Saint Laurent hypnotique.
Les premières secondes suffisent à ensorceler le spectateur : cette voix suave et atypique, cette posture, ce physique reconnaissable parmi tant d'autres. La voix de Saint Laurent sonne comme une alerte : ce film n'est pas le conte de fées virant au drame d'un homme riche mais l'histoire vraie d'un homme insatiable et dépressif depuis toujours. Drôle de contradiction pour un homme qui se définissait comme un « fabricant de bonheur ».
Les plans du réalisateur Bertrand Bonello sont à eux seuls un défilé de haute-couture. Esthétiques, pensées dans les moindres détails, les scènes sont des clichés de mode. La beauté des décors comme l'excentrique appartement de Saint Laurent ou les tenues fastueuses YSL incitent à la rêverie. Le rêve, c'est la mode, sa marque. Le rêve s'arrête ici. L'homme Saint-Laurent nage quant à lui en plein cauchemar, ne se comprenant pas lui-même, désirant toujours plus. Au plus proche de Saint Laurent, on comprend ses troubles et cet homme passionné, autant que passionnant, nous fait compatir même dans sa méchanceté et ses excès.
La polémique autour des deux films sur Yves Saint Laurent (Yves Saint Laurent de Jalil Lespert sorti en janvier 2014) ne fait que rajouter de l'excitation pour ce film faisant débat. Le Saint Laurent de Bonello est très controversé : plus osé autant dans le projet (sortie d'un deuxième film sur un sujet identique la même année) que le scénario lui-même. Jalil Lespert a eu l'approbation de la fondation Saint Laurent et de Pierre Bergé son compagnon. Au contraire, le film de Bonello est renié par les proches de Saint Laurent. Cette version est moins lisse, moins sage. Elle dérange par ses scènes crues, notamment avec Louis Garrel qui joue son amant passionné Jacques de Bascher, et gêne aussi par sa sincérité. En effet, Jérémie Renier, le Pierre Berger de Bonello, n'est pas autant appréciable que celui de Lespert. Contrairement à ce dernier, Bonello n'embellit pas le personnage, Jérémie Renier l'interprète à sa juste valeur. L'homme se dévoile avec tous ses défauts et brise l'image type du compagnon idéal. La version de Bonello est moins édulcorée car c'est une version libre : nul besoin de magnifier l'histoire pour toucher un public plus large ou dans le but de ne pas nuire à des personnes existantes. Le film se veut réaliste autant que possible. L'interprétation enfantine d'un Saint-Laurent subordonné par Pierre Niney fait pâle figure à côté du caractériel et puissant Gaspard Ulliel. La question sur le meilleur des deux Saint-Laurent ne se pose pas : Pierre Niney interprète magistralement Yves Saint Laurent mais Gaspard Ulliel est Yves Saint Laurent.
En surprise, on retrouve l'acteur Helmut Berger en Saint-Laurent plus âgé. Interprétation presque symbolique au vue de sa filmographie obscure et de ses addictions. Léa Seydoux (l'extravagante Loulou de la Falaise) et Aymeline Valade (la mannequin Betty Cadroux) bien que peu présentes, interprètent les femmes comme Saint-Laurent les aimait : belles et rebelles.
Un Saint Laurent plus sombre, plus mature et réaliste, à côté duquel la version de Jalil Lespert à des allures de conte tragique enjolivé. Fascinant, Saint Laurent, l'opium de Bertrand Bonello, avec l'envoûtant Gaspard Ulliel sera en salles le 24 septembre.