On pourrait se demander dans un premier temps de quoi le choix d’introduire un arc narratif fictionnel (celui de l’écrivaine) dans cette histoire réelle est le nom. Car non seulement le prologue est sans grand intérêt, mais pendant toute la durée du procès, on aurait pu se passer de ces quelques plans sur ce personnage qui regarde, qui ne servent à rien sinon à nous rappeler artificiellement qu’on est dans son histoire.
C’est qu’on se rend compte que le fait divers en tant que tel n’intéresse absolument pas Alice Diop. Ni le procès d’ailleurs. Celui-ci n’est regardé avec aucun recul critique. Les cadres et le découpage ne permettent en rien d’en faire voir la scénographie dans son étrangeté pour la questionner un minimum, cette drôle de cérémonie que s’est donnée la société pour ritualiser et légitimer son dispositif répressif, la réalisatrice confondant sans doute l’épure formelle et la platitude de mise en scène.
L’étude du fait divers ne donnera, elle, qu’une monotone énumération de ce qui s’est passé. Bien sûr, on pourra encore et toujours confondre ce vide analytique avec la stricte fidélité aux faits. Mais les faits ne disent rien en eux-mêmes, sans les investir d’un point de vue effectivement ici inexistant. De même que juxtaposer des éléments factuels ne crée automatiquement du vrai, en témoignent les grossiers gros plans sur des visages en larmes à la fin et la composition empesée du procès.
D’ailleurs, ce manque d’intérêt pour la matière brute du fait divers est presque explicitement avoué lorsque le juge d’instruction est appelé à la barre. Celui-ci explique que c’est lui, et non l’accusée, qui a lancé cette piste du maraboutage. Moment très intéressant sur la justice bourgeoise qui, confrontée à une altérité opaque, puise dans ses propres catégories mentales postcoloniales pour y faire conformer cette altérité, en l’occurrence une jeune femme noire sénégalaise. Mais c’est le moment que choisit la réalisatrice, c’est-à-dire au bout de 25 secondes de scène, pour nous faire subir une petite échappée onirique à la con avec une musique insupportable. On ne peut faire plus clair comme aveu.
On comprend donc rapidement de quoi il retourne. Ce fait divers n’est que la béquille narrative sur laquelle avance une bouillie de nostalgie mélancolique et de névrose familiale, à la fois impersonnelle et narcissique, occasionnant une composition abominable de l’actrice principale (l’écrivaine), faite de moues sur-expressives et d’un air de chien battu en guise d’intériorité. C’est bien je ne veux pas être comme elle que se dit l’alter égo d’Alice Diop (à propos de sa mère oui mais on a compris le double sens lourdingue) et non comment peut-on être elle. C’est dommage de prendre autant de temps pour regarder un procès et de n’y voir que son nombril.