Tous les experts de l'expertise s’accordent à le dire : le cinéma va mal. Désormais sérieusement bousculé par les plateformes de streaming et les séries, colonisé de l’intérieur par les inévitables franchises et les biopics industriels … enfin on connaît le refrain. Mais c’est sans compter sur un pan du cinéma d’auteur qui a su rester compétitif sur le marché international, dont Jacques Audiard est une des plus importantes figures, qui renouvelle ce fameux cinéma « qualité française » avec cette fois des oripeaux très Nouvelle Vague, dont le rodage économico-artistique n’a rien à envier aux plus grosses machines de l’industrie, tant sa recette est désormais perfectionnée, imparable et donc promise à la réussite dans la configuration actuelle du marché des contenus audiovisuels :
1/ Un savoir-faire (indéniable) du cinéaste qui doit être guidé par un maître-mot : la fluidité. Le film ne doit jamais s’embourber dans je ne sais quelles longues scènes avec des plans un peu trop fixes, il doit glisser onctueusement entre les scénettes grâce au montage, et ménager celui qui aura quitté ses habituelles séries pour venir en salle.
2/ Cette fluidité doit être au service de l’expérience spectateur, qui ne vient pas au cinéma pour y regarder le monde (quelle idée !) mais pour rêver, s’évader. Du coup, il faut être fluide, aller vite, ne pas laisser le temps à cet enfoiré de monde réel de pénétrer le cadre, de toute façon personne ne peut plus l’encadrer de nos jours. On est au cinéma donc un peu nulle part, dans une atmosphère particulière, on reviendra au vrai monde à la fin de la séance.
3/ MAIS ATTENTION ! Ce n’est pas non plus un prétexte pour s’aventurer dans un cinéma un peu trop onirique ou abstrait. Il faut tenir le spectateur par des signes de réel : un quartier de Paris, un métier défini pour les personnages, de l'enjeu affectif et sentimental standard, du constat social au détour de quelques phrases (ça mange pas de pain) mais sans jamais s’attarder dessus non plus, on n’est pas dans un vulgaire film social ou politique quand même. Le télé-conseil ? Deux scènes de 30 secondes suffiront à faire signe. L’éducation ? Pareil, deux phrases suffisent, le reste c’est juste pour mieux poser le décor du personnage et lui définir une trajectoire narrative (cf. théorie du scénario). Comme ça, le spectateur se sera bien « évadé » (de quoi d’ailleurs ?) mais aura senti et reniflé « l’air du temps » et « l’époque ».
4/ L’époque justement. Vous ne trouvez pas qu’on se dispute un peu trop aujourd’hui ? Et la tendresse bordel ? Pas de ça ici ! Le film doit être idéologiquement en climatisation automatique : des personnages issus des minorités ? Oui mais sans appuyer dessus dans le récit non plus quand même. Comme ça, à la fois, Slate pourra y aller de son article pavlovien sur l’absence de clichés, et la susceptibilité des abrutis du camp d’en face sera ménagée. Et puis de toute façon nous on ne voit pas les couleurs, vous comprenez ? On ne voit que des humains qui vivent, qui aiment et qui désirent (enfin ce que le scénario leur permet de désirer).
5/ Le désir ? Sexuel ? Oui évidemment ça fait partie de l’image de marque de « Le France » à l’international. En noir et blanc en plus ça ravira à New-York, Hong-Kong ou Buenos Aires. Mais attention, tout ça doit être validé par le surmoi puritain du public petit-bourgeois de bon goût. Donc un travelling qui suit une main qui caresse une peau oui, mais rien de trop long où le mauvais goût peut s’immiscer, on y veillera dans le découpage et le montage, sauf quand il faut rire un peu (toujours très important pour une séance réussie) de façon cool et trash avant de se remettre au sérieux. Sinon c’est du Kechiche ou du Verhoven, vous imaginez ? Torride oui mais dans le respect du bon goût ! Oui c’est possible car on est dans le cinéma, je rappelle, pas dans le monde réel …
Voilà normalement ce qui devrait permettre la survie de la niche du film d’auteur international - performant, compétitif et de qualité - sur un marché hautement concurrentiel ; à condition comme Les Olympiades, d’être ennuyeusement de bon goût, tièdement virtuose, sans aucune place pour de la poésie, dans un stade terminal du produit tellement sans âme qu’on ne peut même plus en dire qu’il est nul.