Dans ce documentaire à la fois remarquable et quelque peu confus de soixante-dix minutes , mélange d'interviews originales et d'extraits de vidéos de propagande islamiste, François Margolin et Lemine Ould M.Salem tentent d'illustrer la fameuse phrase de Spinoza : "Ne pas rire, ne pas pleurer, mais comprendre".
Leur choix ? Poser la caméra devant des responsables politiques d'Al-Quaida au Maghreb islamique (AQMI) et des chefs religieux salafistes, comme s'il s'agissait d'interlocuteurs "normaux". La méthode ? Les écouter et enregistrer le flot des discours dogmatiques et menaçants sans les interrompre. Ici, pas de voix off didactiques ni de contrepoints d'"experts", encore moins de commentaires censés apporter un complément d'information au spectateur.
En laissant la parole à "l'ennemi", "Salafistes" démontre que, comme le dit le carton introductif du film, "il ne s'agit pas d'un petit groupe de terroristes mais d'une école de pensée et sans doute même d'un état en formation". Loin de l'imagerie naïve de barbares assoiffés de sang, nous écoutons s'exprimer et voyons là les chefs et les penseurs d'une idéologie conquérante et rationnelle. Leur principale justification est le combat sans merci contre l'Occident colonial et post-colonial. Comme le dit de mémoire l'un d'entre eux : "L'Occident a tout essayé : le socialisme,le christianisme, la laïcité, tout cela a échoué, il ne reste que l'Islam pour le sauver". Pour mettre en place cette nouvelle idéologie salvatrice, un véritable programme politique nous est proposé : justification du fouet pour les buveurs d'alcool, de la lapidation pour les femmes et les hommes adultères, confirmation de l'inégalité biologique et donc sociale des sexes, approbation des crimes de Mohammed Merah et de tous les attentats.
Les interviews sont entrecoupées de scènes tournées au cœur de la Charia quotidienne, ( police des mœurs obligeant les femmes à cacher leurs visages mais aussi main coupée d'un voleur, femme accusée d'homosexualité jetée du haut d'une tour, lapidation etc...). Sans oublier la terrifiante déclaration du journaliste James Foley avant sa décapitation (non montrée) , dite d'une voix tellement assurée et déterminée qu'elle paraît surréaliste.
Malgré les qualités indiscutables du film ( la place laissée à une expression non censurée), "Salafistes" procure aussi le malaise. D'une part, certaines vidéos de propagande ont été vues et revues sur la Web et n'apportent donc aucun élément nouveau. D'autre part, l'accumulation d'images atroces destinées à provoquer la sidération du camp occidental, montrées dans "Salafistes" comme autant de preuves supplémentaires du mal absolue de l'islam radical, provoque un dégoût profond mais ne sert pas la réflexion en profondeur.
Il faut néanmoins citer la dernière scène du film, plan symbolique d'espoir et de résistance au totalitarisme religieux : un vieillard raconte goguenard comment un djihadiste lui a un jour enlevé la pipe de la bouche et confisquer son tabac, avant qu'il ne se rebelle et récupère son bien, en échange de la promesse d'une vague prière. Un éclat de lumière face à la violence de l'arbitraire, qui nous fait sortir malgré tout du cinéma un léger sourire aux lèvres.