Ombre magicienne aux symboliques charmes...
Je tique toujours face à la représentation de l'Antiquité au cinéma (surtout quand le premier carton introducteur fait directement succéder Tibère à Jules César...) : les raccourcis historiques, les décors et costumes toujours un peu kitsch me font perpétuellement osciller entre sourire et froncements de sourcils.
On a affaire ici à un péplum biblique qui réinterprète l'histoire de Salomé - et j'insiste sur le "réinterprète", puisqu'on la décharge ici, notamment, de la culpabilité de la décollation de Jean le Baptiste. L'histoire est assez habilement construite, mêlant la chronique de la montée en puissance du christianisme (avec force références à des épisodes bibliques fameux : guérison de l'aveugle-né, noces de Cana, la cinquième béatitude rapportée par l'évangéliste Matthieu : "Heureux les persécutés pour la justice, car le Royaume des Cieux est à eux") et l'équilibre fragile de royaume du roi Hérode (Charles Laughton), troublé par la cohabitation forcée avec les Romains et la montée en puissance d'un nouveau culte.
Oui mais : tout cela est bien propre et lisse. En dehors de la perfide Hérodiade (Judith Anderson) et d'un Ponce Pilate (Basil Sidney) un peu grincheux, on peine à trouver des touches d'ombre dans ce monde de personnages plus esquissés et qu'approfondis, et on hésite à réellement ressentir une angoisse quelconque pour les amours un peu forcés de Salomé et du séduisant Claudius (Stewart Granger), un Romain secrètement disciple du Baptiste (Alan Bradel aux yeux hallucinés). Les scènes à caractère historiques me semblent un peu bâclées et manquent de réelle profondeur (la faute aux blagues bouffonnes, comme celles de ces deux soldats romains, pressés de rencontrer ce messie capable de changer l'eau en vin... et donc de faire des économies sur leurs soldes ?) : leurs insertions sont bien pensées, leur mise en scène également (beaucoup jouent sur des réminiscences picturales), mais il m'a toujours semblé manqué d'un petit quelque chose pour qu'elles aient toute l'intensité qu'elles promettaient.
Au final, les seuls moments véritables intenses du film sont ceux qui voient l'apparition de Salomé : non pas parce que Dieterle crée un véritable effet d'attente (sauf pour la célèbre scène de la danse des sept voiles... misérablement interrompue par des inserts de scènes dans les cachots, qui, outre leur caractère inutile, saccadent ce moment fantasmatique), mais tout simplement parce que Rita Hayworth est d'une sensualité bouleversante à chacune de ses apparitions. Son visage parfait, la cascade flamboyante de ses magnifiques cheveux, son corps voluptueux drapé dans des voiles suggestifs sont un véritable régal pour les yeux (et c'est une femme qui écrit cette critique). L'apogée est bien sûr le moment de la danse : si Gilda avait su enflammer les esprits en abaissant langoureusement un seul de ses gants (le "i'm not really good with zippers" qui suit est aussi craquant, bien sûr...), Salomé fait se mordre les lèvres de désir : son regard coquin, ses lèvres pourpres entr'ouvertes, les ondulations de son corps voluptueux, et le lent dépouillement des voiles si colorés laissant émerger des courbes ô combien désirables, sont un véritable sommet d'érotisme.
On en pardonnerait presque au scénariste d'avoir modifié l'histoire de cette divine princesse de l'amour, tant il paraît inconcevable qu'autant de beauté puisse se rendre coupable d'un pareil forfait.
Presque.