Toledano et Nakache forment le duo le plus incontournable de la comédie française. Depuis 2006 et leur génial Nos Jours Heureux, le tandem eut le temps de se construire une solide réputation critique et publique avec Intouchables, immense carton au box-office. Trois ans plus tard, les voilà donc de retour avec Samba.
Là encore, la partie était loin d'être gagnée d'avance. Car après un tel succès, il y a toujours la difficile descente à négocier. Car le triomphe ne se reproduira plus, irrémédiablement. Surtout, car le sujet avait tout du casse-gueule. Les sans-papiers. Énorme tabou pour une majorité de français. L'aborder, c'est donc forcément s'engager. Et s'engager c'est prendre le risque de diviser son public. À moins de s'en tirer par une galipette.
Et bien en fait, on s'était trompé. Partiellement, bien sûr, mais on avait clairement mal saisi l'ambition des réalisateurs. Le sujet des sans-papiers n'est finalement qu'un prétexte pour la mise en place d'une véritable comédie romantique, sur fond de fresque sociétale. Ce n'est pas que Samba transgresse totalement nos attentes et nos prévisions, mais plutôt qu'il réussit le tour de force de mélanger les registres avec une habileté rare dans le paysage cinématographique français.
Il y a d'abord la volonté inchangée de la part de Toledano et Nakache de dépeindre la réalité, de montrer l'invisible, d'éclaircir l'envers du décor. Le somptueux plan séquence d'ouverture ne trompe pas, se baladant dans une salle de mariage puis dans ses cuisines. Dès lors, et l'apparition du titre en caractères soignés, l'on comprend que le traitement sera ici plus sérieux, plus social et sans doute moins drôle. Qu'importe, tant et puisque la qualité est toujours là.
Et cette qualité, c'est donc celle totalement inattendue de la romcom. Le film exploite à merveille le potentiel de Charlotte Gainsbourg, étincelante de bout en bout et exacerbe parfaitement l'atypique puissance amoureuse de la rencontre entre ces deux personnages diamétralement opposés. La relation entre Samba et Alice est constamment surprenante, complexe et évite tous les clichés du genre. Clichés qui sont également épargnés à l'univers des étrangers en condition irrégulière, jamais traités comme "inférieurs" ou comme "gentils, solidaires et vertueux". C'est toute la complexité de notre société qui intéresse clairement les réalisateurs, qui s'attardent élégamment sur l'impassibilité du regard des autres et sur la tension palpable que génèrent les situations denses auxquelles tous sont confrontés.
Pour autant, la comédie n'est pas délaissée ; on sent toujours cette "patte" dans l'écriture des dialogues, importée de la comédie US et qui provoque là encore des scènes hilarantes (géniale trinquée collective) mais qui virent rapidement vers des rebondissements réalistes, essentiels au cœur de l'épatant scénario de Samba, qui fusionne des passages encaustiques d’extrêmes sensibilité - traités avec passion par le compositeur Ludovico Einaudi - avec d'autres beaucoup plus nerveux. Accorder autant d'importance et d'attention aux personnages secondaires (tous, sans exception), c'est alors - pour toute l'équipe du film, le casting comme la réalisation - prouver son envie et son devoir de bien faire, comme si le film populaire et politique ne leur suffisait pas. Tant mieux, car c'est ce qu'il y a de plus beau dans Samba, à la fois fable sociétale sans concession et comédie romantique gracieuse.