Principalement connu auprès des aficionados du genre horrifique pour avoir réalisé Dellamorte Dellamore en 1994, Michèle Soavi n’en était pourtant pas à son coup d’essai, comme le prouve Sanctuaire. Suite non officielle du fameux Demons commis par les sieurs Mario Bava et Dario Argento (qui récidivent en signant le scénario du présent film), Sanctuaire propose des séquences horrifiques à l’imaginaire baroque qui risquent de marquer longtemps le spectateur…
Réalisé pour une poignée de lires italiennes avec des acteurs inconnus, Sanctuaire n’en est pas moins dépourvu d’originalité et d’une vision esthétique résolument anticonformiste.
Le film s’ouvre sur un long flashback qui situe l’action durant l’Allemagne médiévale, période au cours de laquelle l’obscurantisme religieux occulte les esprits. Des chevaliers teutoniques menés par un évêque peu enclin à la discussion aimable et civilisée, décident de tuer tous les habitants d’un village soupçonné d’être le repaire du Malin® en personne. Les chevaliers, non contents d’avoir tué tous les villageois, décident de les enterrer tous au même endroit. Comme les bonnes idées arrivent rarement seules, les chevaliers ont le lumineux réflexe de bâtir une cathédrale juste au-dessus, espérant ainsi que jamais personne ne découvrira ce qui s’y cache. Vous sentez le coup venir (#spoileralert : le secret sera découvert.). Tout le reste de l’action du film se déroulera donc dans cette cathédrale, de nos jours (enfin, plutôt à une époque où le port de la coupe mulet n’était pas passible d’emprisonnement). Nous suivons George, sorte de double d’Indiana Jones tout aussi porté sur les vieilleries que sur les belles plastiques italiennes, qui vient de prendre son poste de bibliothécaire dans la cathédrale. Le film finira toutefois par dévier totalement de sa ligne narrative de départ, reléguant au second plan le pauvre George à partir de la moitié du film.
Car, vous l’aurez compris, Sanctuaire ne brille ni par l’originalité de son scénario ni par la qualité littéraire de ses dialogues. Le script n’est qu’un prétexte, un support propice au déploiement d’images horrifiques et de visions cauchemardesques. Le film tire sa force des effets qu’il met en jeu. Usant et abusant d’une caméra subjective jusqu’à plus soif, Michèle Soavi compose une ambiance mystérieuse et oppressante à base de plans décadrés et de contre-plongées. On retrouve bien là tout le savoir faire italien qui ne se laisse pas abattre quand l’argent vient à manquer. Ainsi, le réalisateur compense la faiblesse du budget du film par l’originalité de sa mise en scène et par l’atmosphère angoissante qu’il distille. Portant en germe ce qui fera la virtuosité de Dellamorte Dellamore, Soavi n’hésite pas à conjuguer l’horreur et l’humour dans la pure tradition du grotesque italien.
Le film devient plus intéressant lors de sa deuxième partie, à partir du moment où le grand-guignolesque est assumé afin d’être tourné en dérision. Toute cette partie se déroule en huit clos dans la cathédrale. Elle met en scène différents groupes de personnages (un couple de personnes âgées, des enfants, les spectateurs d’un mariage, etc.) qui se retrouvent prisonniers au sein de l’immense bâtisse. Les intrigues secondaires se multiplient sans parfois être conduites à leur terme. On retrouve là un des défauts du cinéma de Dario Argento : commencer une bonne idée et puis… boarf, la flemme de la mener jusqu’au bout, et si on essayait autre chose ? Et ainsi de suite. La cacophonie et le manque de linéarité narrative donnent pourtant à l’ensemble une certaine saveur fellinienne. Car Soavi semble partager avec Fellini une même volonté de taper sur la religion catholique pour voir ce qui en ressort. Ni les prêtres ni les grenouilles de bénitiers ne sont épargnés dans le film de Soavi pour qui la notion de caricature n’a rien d’un euphémisme. Plus le film avance, et plus ce dernier semble se prendre les pieds dans ses propres incohérences. Le montage est de plus en plus nerveux et chaotique, comme si Soavi essayait d’y incorporer le plus de scènes gores possible sans se soucier de la manière dont celles-ci peuvent se raccorder à l’histoire. À côté, Fulci passe pour Shakespeare.
Le film est donc un peu l’image de sa bande-son, signée par Philipp Glass, Keith Emerson (oui oui, le Keith Emerson de Emerson, Lake & Palmer) et Goblin. Quelque chose de très bourratif, à la limite de la nausée. Pourtant le film ne manque pas de bonnes idées, à commencer par l’atmosphère gothico-horrifique qu’il emprunte au ***Nom de la rose*** (Jean-Jacques Annaud, 1986), sortit quelques années plus tôt. Et surtout, le film propose un certain nombre d’images horrifiques, qui, malgré leur apparence cheap, n’en demeurent pas moins pourvues d’originalité. Lorsque tous les corps des paysans sont jetés en pâture dans une fausse, il est difficile de ne pas songer aux terribles images des camps d’extermination. Le film troque son habit de clown pour en revêtir un autre, plus politique, en s’interrogeant de manière parabolique sur le rôle qu’a pu jouer l’Église durant la Seconde Guerre mondiale.
En somme, si ***Sanctuaire*** n’est pas un chef d’œuvre, il n’en demeure pas moins une œuvre originale, dotée d’une vision horrifique que l’on aimerait voir plus souvent. Soavi compense ses faiblesses d’écriture par une mise en scène baroque et singulière, qui fonctionne par effets de rupture permanents. L’horreur et l’humour décomplexé fonctionnent de conserve, annonçant par là les futures œuvres de Soavi.
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