Il est préférable de voir le film avant de lire cette critique.


Pleinement heureux de son séjour aux frais de la princesse, Le Président Lindon aidé de son jury a élu le très contemporain Sans filtre, "film choquant", s'il en est, champion Olympique de sa discipline. Une nouvelle incarnation de la girouette culturelle Cannoise prête à éponger les mutations sociétales farfelues dès que l'occasion se présente. Le parfum de souffre sur la Croisette est presque devenu un usage, encourageant les cinéastes à montrer leur rejeton argentique en guise de liberté creative . Un Parfum ? Plutôt une odeur en l'occurrence celle du pet qui devrait établir une liaison évidente voire un rapport consanguin avec La Grande bouffe de Marco Ferreri autre clivage bourgeois tournant autour de mets raffinés et de gaz intestinaux. De la jet-set aux journalistes, la foirade (au sens propre) de Ruben Ostlund a commis son petit effet attestant de la verdeur retrouvée d'un festival mi-passionné mi-cynique plus que jamais porté par un courant politique et social. La COVID étant bien loin, bloquée à la frontière comme jadis le nuage de Tchernobyl. Jusqu'ici tout va bien.


De ce fait, les apparences sont ce qu'elles sont mais a-t-on seulement parlé de Cinéma en terme de cohérence artistique en lieu et place d'un métrage polarisé sur la promotion de sa performance anale et gastrique. Vient-on de lever un coin du voile sur cette Palme d'or satisfaite qui n'a qu'un soucis, celui de s'être essuyé sur la veste de son spectateur sans s'excuser. Sans filtre est une coquetterie qui autorise son public de trouver chic de glisser dans la merde et de flatter ses narines avec des effluves de bile.


Cibles de choix et pilotes d'une odyssée capitaliste vacillante, deux influenceurs mannequins glués sur Insta partent en croisière grassement offerte par une compagnie maritime de luxe. Gravitant autour d'eux, une nuée de nouveaux riches volubiles et fiers de leur réussite professionnelle pavoisent en abusant de leur position. Les éléments, eux, n'en resteront pas là. "Vent" de panique à bord.


Sans filtre et son Capitaine de frégate Ostlund connaissent le système. Tendre un miroir à la Croisette n'a rien de bien neuf. Le tout est de savoir si la blague dépassera le stade du dortoir de petite section. Ostlund n'en est pas à son coup d'essai, Snow Therapy et le déjà palmé The Square ont reniflé là où ça puait avec une malaisance non dissimulée. Alors quand le réalisateur Suédois mime le Titanic de James Cameron en troquant Jack et Rose par une PLV pour Tik Tok, on obtient toute l'attention du moindre déviant de passage. Scindé en trois chapitres, Sans filtre s'amorce tout d'abord par un brossage au cordo du monde de la mode et de ses corps prêts à l'exhib'. Il s'ensuit un aparthé délicieux sur le rapport machiste que peut engendrer la galanterie. Objet de la dispute, une addition salée dans un restaurant étoilé. Avec une telle entrée en matière, le film laisse augurer un programme de belle ampleur surtout que l'artificialité de la sphère abordée et par repercussion ses personnages, risque fort de se briser au moindre incident. On peut facilement reprocher à toute cette petite entreprise d'enfoncer des portes ouvertes mais le réalisateur de Happy Sweden use d'un stratagème de mise en scène bien particulier, celui de centrer ses acteurs dans le cadre dans une poignée de plans évocateurs destinés à illustrer (à mesurer ?) les ego. Il ne reste plus qu'à contempler la beauté éphémère de personnalités en carton, de ventres proéminents posés là comme des outres avant d'assister à l'inévitable glissement de terrain.


Dans son élan de destruction massive des classes, Sans filtre va donner corps à sa déchéance en offrant l'opportunité à son audience d'assister à un échange entre un Capitaine de yacht interprété par Woody Harrelson avec l'un des convives, un entrepreneur prétendant vendre de "la merde". Au centre de la conversation, un certain Karl Marx et en habillage sonore, la fameuse chanson d' Eugène Pottier, C'est la lutte finale. *Le débat d'idées entre les deux hommes entérine l'objectif du film mais il le dessert en vociférant dans une fougue quasi programmée un laïus de bachelier rebelle envers une réforme étudiante. Sans Filtre devient une paraphrase de sa propre narration visuelle qui visait à dégommer le neo-capitalisme et sa réprésentation physique à la fois lisse, pathétique, laid, beau et... connecté. Le dernier acte s'en retrouve également émoussé puisqu'il n'est que la suite logique de la dégringolade sociale de rescapés isolés sur une île attendant tranquilement d'éventuels secours avec ce que cela engendre de situations cocasses et hargneuses.


Redondant et contre productif, ce travail de désamorçage qui surligne toutes les thématiques ne peut qu'éveiller le soupçon de l'imposante machination qui voudrait que The Triangle of Sadness s'apparente à cette pièce de boulevard volontarement épaisse. À tous ceux qui fantasment le Septième Art comme un équilibre parfait, le petit dernier de Ostlund a peut-être pris à revers la critique maligne avec la grâce d'un poids lourd. Sans filtre, peut-être, mais aussi sans agents nocifs. Le prix à payer du troll ultime ??

Star-Lord09
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le 3 juin 2022

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