Ah Ruben Östlund… c’est un cinéaste disons… honorable qui arrive à faire ressortir le grotesque de chaque situation, de chaque comportement avec une certaine dose de justesse… quand il reste sur un regard réaliste, à travers lequel rien n’a besoin d’être exagéré. Le problème de ce Monsieur, c’est qu’il se croit bien plus talentueux qu’il ne l’est réellement, qu’il pense être révolutionnaire alors qu’il ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes depuis longtemps, en donnant l’impression qu’il veut faire croire qu’il a inventé un truc, que son cinéma est d’une originalité profonde.


Et le fait qu’il fasse partie du club très fermé des réalisateurs ayant remporté deux Palmes d’or n’a pas dû arranger la taille de ses chevilles. Enfin, club très fermé, mais pas d’un prestige bien immense pour son apport au septième art. À part, bien sûr, pour la flamboyante exception de Francis Ford Coppola, alors au sommet du sommet, et, dans une bien moindre mesure, pour Shōhei Imamura et Emir Kusturica, je ne bave pas d’admiration devant la liste bien terne des doubles “palmés”.


Bref, que dire de Sans filtre ou Triangle of Sadness ? Divisé en trois chapitres (ce qui est bien surligné par un intertitre, comme si le spectateur ou la spectatrice n’était pas capable de faire tout(e) seul(e) cette division sans cela ; d’ailleurs une part non négligeable des films d’aujourd’hui se sentent obligés de mettre en avant ainsi ce type de division quand ils l’utilisent !), l’ensemble désire être une satire féroce des privilégié(e)s de la vie.


Autour d’un couple de mannequins ayant été très bien servis par Dame Nature pour ce qui est de l’enveloppe corporelle, il y a toute une série de portraits de personnes, aux comptes en banque hyper-bien garnis, pouvant être d’apparence sympathique, mais vraiment dans le fond bien affreuses et méchantes (pas besoin d’un minimum de réflexion ou d’analyse, on vous le crache à la gueule pour vous le faire comprendre !). Au lieu de se contenter de filmer un peu à distance les petites médiocrités ressortant d’une manière naturelle de ces caractères, à la manière qu’il ne lui avait pas trop mal réussi jusqu’ici (sans crier au génie !), Östlund se veut ici un satiriste féroce qui y va au bazooka, au lance-roquettes, au char d’assaut. C’est bien d’avoir l’ambition de faire évoluer son cinéma vers autre chose, encore faut-il en avoir les capacités.


Oh mon Dieu, les super-riches chient et vomissent eux aussi. Oh là là, mais c’est incroyable. Pourquoi personne ne m’a prévenu ? Non, sérieux, je sais très bien que le réalisateur voulait faire descendre de leur piédestal des êtres pour qui l’apparence est très importante pour se mettre au-dessus du commun des mortels, mais, comment dire, tout le monde chie (si ce n’est pas le cas pour vous, il faut consulter un gastro-entérologue d’urgence !), tout le monde vomit. Ce sont des fonctions vitales nécessaires pour assurer la survie de l’organisme. Il n’y a pas lieu de se moquer de cela. Encore, s'ils acceptaient de ne faire leurs besoins que sur une cuvette en or massif 24 carats… Mais, là, le cinéaste ne se moque que parce qu’ils vomissent ou chient. Bon, les gens pour qui voir du vomi ou du caca suffit à faire rire, le film vous plaira certainement.


Pour moi, il y avait suffisamment de quoi trouver de la substance dans le naturel connard condescendant des serviteurs les plus actifs du dieu Pognon pour ne pas avoir besoin de forcer le trait lors de chaque situation, de chaque réplique, de sortir le stabilo géant pour bien faire comprendre combien les riches sont des pourritures absolues qui méritent que l’on se foute de leur gueule (oh mon Dieu, vous ne devinerez jamais comment finit l’infâme couple se faisant de la thune dans l’industrie de l’armement !).


Et dans le dernier tiers… pardon… chapitre…, il y a une poignée de survivant(e)s au naufrage (oui, parce que le deuxième chapitre se déroule lors d’une croisière sur un yacht de luxe !) qui atterrissent sur une île déserte. Là, les classes sociales n’ont plus lieu d’être. Au contraire, étant donné que c’est la plus débrouillarde sur un plan pratique, c’est celle chargée des chiottes du bateau qui dirige le groupe. Ouah, quelle idée révolutionnaire de scénario, des domestiques qui prennent le dessus sur leurs maîtres, car ils atterrissent dans un lieu dans lequel la richesse n’a plus aucune importance… enfin, si on oublie Marivaux et L’Île des esclaves ou L’Admirable Crichton de J. M. Barrie (pièce de théâtre adaptée plusieurs fois au cinéma ; au passage, je vous recommande l’excellente version de 1919 de Cecil B. DeMille !). Je ne critique pas tant la reprise d’une idée (bien que j’aie le sentiment qu’Östlund aurait bien voulu faire croire qu’il en est le créateur !), mais le fait que cela ne puisse que reposer en conséquence que sur du prévisible. En plus, l’ironie de la fin est ultra-prévisible.


Ne serait-ce que parce que les différents naufragés ne cherchent même pas à savoir le plus tôt possible si, déjà, ils sont bien sur une île et s’il n’y a pas par hasard d’autres humains dans le coin en allant explorer complètement l’endroit, à la place de rien branler sur la plage pendant une très longue partie de l’intrigue. Ce qui signifie que le réalisateur voulait absolument garder une grande révélation de ouf guedin pour les toutes dernières secondes. C’est visible à des milliards de kilomètres.


Ce troisième chapitre fait du surplace. Passe encore. Mais il aurait été bien d’en profiter pour développer les divers protagonistes, notamment le couple de mannequins. Surtout qu’à propos de ces derniers, l’histoire avait esquissé des choses pas mal pour approfondir leur personnalité (la séquence dans le restaurant de luxe suivie de celle du palace en particulier !), en les montrant comme n’arrivant pas à s'empêcher de se soumettre en toute conscience aux us et coutumes du milieu qu’ils fréquentent.


Reste une distribution aussi cosmopolite qu’intéressante.


En capitaine de yacht marxiste (bon prétexte à deux balles pour le Monsieur derrière la caméra de nous balancer sa culture des diverses théories politiques sans rien apporter de consistant au personnage, à part faire “oh, regardez comme ce riche est un gros hypocrite qui se complait dans son hypocrisie, mouahaha, je suis un trop grand satiriste de génie” à la place de se servir de ce drôle de fait pour faire du capitaine quelqu’un qui essaye du mieux qu’il le peut d’appliquer les théories de Marx dans le cadre s’y prêtant le moins ; ça, encore, aurait été intéressant sur le plan du personnage et du récit !), Woody Harrelson y apporte son talent et son charisme de gros malade, compensant le manque éclatant de profondeur de son rôle (ce qui est pareil pour les autres comédiens et comédiennes de toute façon !).


Mais celle qui se distingue le plus, c’est sans conteste Charlbi Dean, d’une présence forte, mémorable, au jeu d’actrice solide. La caméra adore son physique de rêve et ne manque pas une occasion de le sublimer (ce qui n’est pas difficile !). En résumé, elle était une révélation qui avait tout pour faire une brillante carrière. Hélas, le destin, pouvant être cruellement arbitraire, en a définitivement décidé autrement.


Ouais, pour conclure, le tout se veut un pamphlet féroce et percutant sur les classes sociales. C’est juste un machin vu et revu inutilement lourdaud, dont le réalisateur essaye de dissimuler l’absence éclatante de nouveauté, d’originalité, de profondeur (le message d’ensemble ne va pas au-delà de “oh là là, les riches sont vraiment des pourris !”), en se faisant suivre de longues scènes dialoguées (c’est ce qu’il faisait avant, mais sans se sentir obligé de faire croire que la vulgarité est le meilleur moyen d’accoucher de subversif !). Bref (pour finir sur une blague aussi marrante que le film entier !), c’est le naufrage d’une coquille vide.

Plume231
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