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S’il y a bien une singularité du cinéma de Ruben Ostund, c’est l’auscultation d’une sorte de stade terminal d’une société (suédoise, mais pas que) qui commence à perdre en intensité et en vitalité ce qu’elle a jusque-là gagné en prospérité et en pacification. L’extrême sobriété de cette observation lente, froide et néanmoins amusée a laissé place, depuis The Square, à une dimension farcesque plus volontiers discursive, dont Triangle of sadness est le prolongement. On pourrait regretter ce tournant, si ce nouveau n’était pas d’une réussite aussi éclatante.


Cette fois, Ostund s’inscrit plus explicitement dans un genre, la comédie, mais livre un film plein, foisonnant, incroyablement riche en situations toutes poussées jusqu’au bout, et qui, si ça ne tenait qu’à moi, aurait pu durer 30 minutes de plus. Les scrupules de The Square ont disparu, cette fois la farce pousse la cruauté au paroxysme et forme, scène géniale après scène géniale, un tableau baroque de la laideur humaine sous le régime capitaliste.


Formellement, le suédois a passé un cap dans la maitrise comique. Si on le savait déjà maître du malaise avec ses séquences étirées qui ajoutent à l’embarras, désormais même le rythme et le timing comiques sont admirablement gérés. Je pense à la scène du début où Carl perd sa place avant le défilé de sa meuf, l’enchainement de plans qui mène au gag est juste parfait, en plus d’en dire beaucoup sur la dynamique de la relation dans ce couple. Ou, évidemment, le morceau de bravoure au milieu du film, qu’il ne faut pas trop révéler, chaos comique qui pourrait être la version sataniste de The Party de Blake Edwards.


Un cliché critique éculé mais qui pose néanmoins une question légitime pourrait condamner le film en tant que petit théâtre glacé totalement sous contrôle de l’auteur. S’il est vrai que le film est parfois (lourdement) discursif, son honnêteté esthétique vient de la longueur des scènes, qui au bout d’un moment finissent par atteindre une ambivalence, une ambiguïté et donc une justesse. L’écriture ne fait pas semblant : à partir d’un postulat théorique (disons : l’homme paie l’addition au restaurant alors qu’il touche moins), Ostund pousse la scène en longueur sans aucune paresse et avec une grande précaution de la justesse, jusqu’à ce qu’elle produise quelque chose de bien plus que le postulat de départ. C’est vrai pour l’excellente séquence d’ouverture au restaurant, pour la scène du yacht où Carl fait virer un employé par jalousie avant de demander combien coûtent les bagues et pour toutes les scènes dans l’Ile.


Le vrai problème du film est que ces scènes, plus on en travaille la justesse, plus elles produisent quelque chose de délicieusement méchant. Pour moi, ce couple d’influenceurs, loin d’être des pantins du scénario, arrivent à être touchants et pathétiques, surtout Carl avec ses velléités de romantisme et sa lecture d’Ulysse lors d’un voyage offert dans un yacht. Il faut avoir, comme Ostund, l’appétit de ces petites observations cruelles qui sonnent juste. Mais on peut ne pas y avoir goût. On peut leur préférer Julie en 12 chapitres.


**


Bon c’est vrai qu’Ostund a la main lourde parfois, et ajoute des moments qui ne sont que purs caprices de méchanceté aux dépens de ses personnages.


(Je pense aux deux marchands d’armes tués, à l’oligarque russe qui pleure sa femme tout en retirant les bijoux du cadavre ou ce plan assez inouï qui montre la difficulté de vomir dans des toilettes quand un bateau chavire).


Mais les réserves que je peux avoir sont purement théoriques, ces scènes me font rire à chaque fois que j’y repense. Bon bah finalement tout ça est encore une fois question de goût, sinon il y a aussi tout un tas de films jolis et bienveillants …

Mr_Purple
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le 2 sept. 2022

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Mr Purple

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