Vers un destin insolite sur les flots bruns du mépris

Cette critique contiendra des spoilers mais pas forcément plus que la bande-annonce.

Après avoir beaucoup aimé Force majeure et The Square, le premier pour sa façon de laisser pourrir une situation presque anodine avec une mise en scène volontairement très lente, le second notamment pour sa capacité à faire durer des scènes pour instaurer un malaise chez le spectateur, j’attendais avec impatience le dernier métrage de Ruben Östlund, auréolé de la palme d’or à Cannes cette année. 

Le film est divisé en 3 parties : une première assez proche du style de mise en scène de The Square avec déjà une impression de lourdeur excessive ; une deuxième qui vire à la farce et où toute la subtilité des précédents films semble laissée au placard ; enfin, une troisième partie interminable, sur fond d’inversion des rapports de domination/de classe, qui semble (mal) plagier la dynamique scénaristique de Vers un destin insolite sur les flots bleus de l’été de Lina Wertmüller. 

Le film n’est sûrement pas une critique anti-capitaliste du monde des ultra-riches, une critique des influenceurs et de la superficialité qu’ils exploitent (ou dont ils sont victimes) ou encore une critique marxiste des rapports de classes, sauf à prêter à Östlund une lecture socio-politique d’un ado de 15 ans. D’aucuns diront que c’est un film subversif qui va faire grincer des dents mais c’eut peut-être été subversif de réaliser une satire sur les ultrariches il y a 20-30 ans, aujourd’hui ça semblerait surtout extrêmement anachronique. Tous ces éléments sont avant tout le terrain de jeu sur lequel va se déployer le talent comique du réalisateur suédois. Tous les éléments comiques du film pris séparément perdraient sans aucun doute de leur vigueur, c’est la force de la mise en scène d’Östlund de littéralement faire jaillir ce trop-plein d’abondance avec le bon timing, de réussir à faire rire d’un simple plan sur une gelée visqueuse malmenée par la tempête. 

Le problème, c’est que devant cette lourdeur le spectateur aussi frôle l’indigestion. Certaines scènes bien trop longues sont des caricatures de la mise en scène d’Östlund, la magie n’opère plus et le malaise fait place à l’ennui. La troisième partie est bien inférieure aux deux premières, il semblerait qu’un décor aussi « primitif » et dénué d’indices de rapports de domination évidents rende la mise en scène assez inopérante. On semble sauver le couple d’influenceurs, initialement présenté comme liés exclusivement par des intérêts (du tout moins pour Yaya), en nous les montrant finalement éprouvant une jalousie réciproque, mais c’est bien trop long. Finalement, le faux cynisme qui parcourt le film fait place à une misanthropie crasse, les dominés devenus dominants sont prêt à tout, mus par la vengeance, pour conserver leur privilège. 

J’ai pensé après le film que l’objectif d’Östlund était peut-être de questionner le spectateur sur sa propension malsaine à jouir du spectacle de bourgeois littéralement traînés dans la merde, sans plus d’empathie pour ces personnages vomissant que ceux-ci n’en ont pour le personnel de bord ou ceux sur qui leur fortune est assise ; le questionner sur son rapport à l’image aussi superficiel que ceux d’influenceurs intolérants au gluten se montrant en train de manger des pâtes. C’est peut-être le cas mais je n’en suis pas sûr du tout au vu des interviews en marge de la présentation à Cannes. 

Le ton du film est plutôt bien résumé par ce plan nous montrant Carl, mannequin/influenceur, en train de lire Joyce sur sa croisière de luxe ; un ton moqueur et méprisant, bête et (faussement) méchant, saupoudré de références peu subtiles mais que certains ne remarqueront sans doute pas, façon de faire preuve de mépris non seulement envers les personnages mais aussi envers le spectateur.

Gabagool
5
Écrit par

Créée

le 20 sept. 2022

Critique lue 57 fois

Gabagool

Écrit par

Critique lue 57 fois

D'autres avis sur Sans filtre

Sans filtre
Rolex53
8

Idiot, mais riche

Je comprends maintenant, après avoir découvert ce film, pourquoi sans filtre a obtenu la Palme d'Or. C'est tout simplement le talent d'un réalisateur suédois, Ruben Östlund, qui réussit la...

le 17 oct. 2022

174 j'aime

4

Sans filtre
Cinephile-doux
8

Le capitalisme prend cher

La nature humaine, surtout vue à travers ses bassesses et sa médiocrité, est le sujet préféré de Ruben Ôstlund qui n'hésite pas à pousser le curseur à son maximum dans Sans filtre (traduction oiseuse...

le 29 mai 2022

66 j'aime

14

Sans filtre
pollly
9

Avis de tempête

La croisière s’amuse Puisqu’il s’agit ici d’évoquer un film qui ne fait pas de la dentelle, allons droit au but : Triangle of Sadness est un film qui vous explosera à la tronche. Ruben Östlund...

le 2 juin 2022

65 j'aime

Du même critique

Les Banshees d'Inisherin
Gabagool
5

Banshees of Inisherin like

Dans Banshees of Inisherin, Martin McDonagh mélange dans son chaudron scénaristique tous les ingrédients d’une fable : décor pittoresque (une île au large de l’Irlande aux paysages magnifiques), une...

le 30 déc. 2022

11 j'aime

En salle
Gabagool
7

Drive me to the end of love

Premier roman de Claire Baglin, En salle alterne le récit du quotidien de la narratrice employée dans un fast-food et des souvenirs d’enfance, d’adolescence. Tous ces épisodes d’enfance ne sont pas...

le 5 sept. 2022

6 j'aime

2

Pacifiction - Tourment sur les îles
Gabagool
10

Le mirage des Syrtes

En présentation de son dernier film, Memoria, Apichatpong Weerasethakul expliquait qu’il était presque souhaitable de se laisser aller à fermer l’œil devant son film, que ce n’était pas l’effet...

le 16 nov. 2022

4 j'aime