Sans filtre, un scénario vraiment sournois.

Voilà un film original et plutôt bien réalisé. Il a de quoi séduire un vaste éventail de spectateurs. Sa force, c’est qu’il cache un peu trop bien ses faiblesses et les idées qui s’y dissimulent plutôt habilement. Il y a de quoi se questionner sur les perceptions des membres du jury du Festival de Cannes qui l’ont couronné, et surtout sur leurs motivations. 


Pour ma part, une certaine satisfaction de cinéphile était au rendez-vous, mais avec beaucoup de bémols. Par exemple, il me semble que la longue dispute entre les non-amoureux dans la première partie n’apporte pas grand-chose à l’histoire et je n’avais pas spécialement envie d’en être témoin, sauf si elle avait participé à une histoire qui se développe. Or ce n’est pas vraiment le cas par la suite. 


La deuxième partie est sûrement la mieux réussie. On y a plus de plaisir à voir caricaturés les riches insignifiants et leurs rapports avec les serviteurs, mais on risque de se tromper lourdement sur la portée du message, même si certains passages, tels que celui sur les riches fabricants de mines antipersonnel, peuvent sembler être une critique acerbe de nos institutions sociales. Quant à la scène des vomissements, elle prépare bien le naufrage mais elle est vraiment trop étirée. 


Enfin, la troisième partie est plutôt étrange, inutilement longue et difficile à suivre. Et surtout, le message à portée sociale que j’en retiens me déprime vraiment. Ce serait la démonstration du fait qu’au fond, on peut comprendre ces pauvres riches car ils agissent simplement comme n’importe lequel des pauvres s’il en a la chance. On peut donc critiquer et se moquer des riches, mais on ne peut pas vraiment les condamner puisque leur comportement serait simplement celui de n’importe quel humain normal.


D’ailleurs, les riches vivent très bien leur condition de rescapés. Ils ont aussi un comportement à peu près semblable à celui de n’importe quel humain normal. On voit même un, du genre plutôt timoré, devenir un héros en tuant un âne avec une pierre, comme n’importe quel homme des cavernes. 


Si c’est bien là le message du film, c’est une thèse qui mérite discussion. À mon avis, la démonstration n’est pas très convaincante même si on la prend comme une caricature, car on a peine à imaginer que des individus dressés à l’obéissance puissent se découvrir instantanément une âme de boss. Et aussi à admettre que tous les pauvres ne rêvent que de pouvoir sauter sur la première occasion qui se présente pour devenir des maîtres et se comporter de la même façon qu’eux. 


De toutes façons, il me semble qu’on fait fausse route en voulant cibler le comportement des individus, qui sont toujours, biologiquement, des humains normaux. Ce sont les cultures et sociétés qui diffèrent grandement. Dès lors, la critique, s’il y en a une, devrait plutôt porter sur les institutions sociales. On dirait bien que, pour des Occidentaux, ces institutions (les lois, en particulier) sont de pures abstractions et que l’existence humaine est toujours une affaire purement individuelle. Chacun selon son mérite et selon ses capacités… 


Comme cette thèse est fort bien dissimulée dans le scénario et qu’elle ne se développe qu’en filigrane, elle pourrait fort bien avoir séduit des membres du jury du Festival qui ne partagent pas du tout les mêmes orientations idéologiques, les uns y voyant une féroce critique de notre ordre social et les autres, sa défense. À cet égard, le film est une réussite, d’autant plus qu’il a bien des chances d’opérer de la même façon auprès d’un large public. 


Quant à moi, je lui aurais donné un 7 sur 10 d’un point de vue de cinéphile, mais un 1 sur 10 quant à son message et à sa portée sociale un peu  trop subtilement dissimulée. J’ai donc coupé la poire en deux en lui donnant un 4. 

DenisBlondin
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le 11 nov. 2022

Modifiée

le 11 nov. 2022

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Denis Blondin

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