Rarement un film aura provoqué chez moi une réaction à ce point épidermique (si ce n'est le remake "live" du Roi Lion ou encore Spider-Man : No Way Home, mais je parle ici de films...). Tout se présentait pourtant sous les meilleurs auspices : une satire du monde de la haute bourgeoisie, de ses rapports de domination, du cynisme mortifère qui en constitue le cœur. 


Et la première partie du film pourrait presque remplir son contrat. Le jeu de dialogues du couple de modèles/influenceur.eu.ses, même s'il est plombé par une mise en scène amorphe, soulève un début de critique du monde de la mode et de la manière dont les rapports de force entre les genres sont renversés. Ce qui n'empêche pas le film, au travers d'une blague sur le fait que, dans le milieu de la mode, les femmes gagnent davantage que les hommes, de laisser entrevoir son véritable propos... 


Puis arrive la deuxième partie, et le masque tombe. Une fois dans le yacht, le film se limitera à dire des bourgeois qu'ils sont bêtes et méchants (ce qui est autant une critique de la bourgeoisie qu'un Big Mac est un plat gastronomique), mais prend surtout un plaisir profondément malsain à humilier et maltraiter le personnel de bord. À rire du malaise d'une employée qui ne peut pas dire non à une "guest" qui lui demande de se baigner (tout en sachant que si elle le fait, elle sera renvoyée). À se moquer d'une passagère handicapée qui ne peut plus s'exprimer qu'en répétant la même phrase en allemand. À rire des employés de ménage immigrés qui s'appliquent à nettoyer du vomi et d'autres fluides corporelles alors que tout part à vau-l'eau dans le bateau. Le point culminant étant un dialogue surréaliste de stupidité entre un capitaine "américain communiste" et un milliardaire "russe capitaliste" qui s'échange des citations (et donc ne disent rien). 


Mais c'est bien la troisième partie qui révèle toute la perversité du film. Alors que l'ordre social et les rapports de force entre des personnages de classes différentes sont inversés, le film fait croire qu'il retrouve un semblant de décence en démontrant que ce sont bien les "petites gens" qui permettent à l'édifice social de tenir debout.... jusqu'à la scène suivante, qui dépeint les dominés comme des dictateurs en puissance, et dont le propos s'étendra jusqu'à la dernière image. 


Et c'est là le propos du film : l'ordre social dominé par la bourgeoisie est peut-être injuste, mais si on donnait le pouvoir aux dominés, ce serait encore pire. Car ils ne veulent pas simplement le pouvoir (ou du pouvoir), ils veulent se venger... Rajoutons à cela un propos profondément anti-féministe, puisque le nouvel ordre social est... une matriarchie. 


Sans Filtre, c'est 2h30 de tempo comique au service d'un discours débordant d'un mépris de classe ignoble, filmé avec une fausse sophistication qui ajoute à l'exclusion.

VincentHernandez
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le 22 nov. 2022

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