La ronde du tango de satan. Les êtres en manque de perspective qui tournoient, et ceux bien décidés qui foncent en ligne droite. Le monde de Béla Tarr est gris, désenchanté, et même les rêves de petites fille comme Estiké sont pillés. Pillés par la cruelle escroquerie: "Donne moi ton or Estiké, et si on le plante sous l'arbre, demain, au printemps revenue, tu cueilleras la source de tes rêves". Mais chez Bela Tarr il n'y a pas de printemps. C'est à cause de l'escroc, de celui qui abuse de l’innocence et de la crédulité de l'"idiot". Et même les petit escroc, échafaudant un complot mesquin en voulant partir avec l'or de la vente du troupeau, seront à leur tour berné par plus malin qu'eux, le poète-roublard Irimias, que l'on croyait mort.
L'histoire est ainsi repliée sur elle même en une boucle de duperie dans ce conte désespérant de cruauté et de dérision. Bien sur, cela ne serait pas aussi fort sans le formalisme impecable de ce cinéma, une caméra tantôt tournoyante autour de ses personnages aux gueules ravagées, comme dans une danse infernale, tantôt suivant la ligne droite des gens décidés comme Estiké, avec sa petite bouteille de mort au rat, qui vient d'empoisonner son chat, et s’apprête à faire la même chose d'elle même, ou encore Irimias, dont les secrètes motivations n’intéressent personnes, et qui est venu tisser sa toile de duperie autour de ces êtres qui n'ont plus de perspective et qui dansent toute la nuits.
Aujourd’hui, je ne trouve pas d'issue possible à cet état de fait évoqué si puissamment dans le film : la façon dont le mépris vis à vis du faible et la ronde des imbéciles heureux tournent gentiment ensemble dans un tango infernale et enivrant, sous le regards amusé et moqueur de celui à qui profite ce ballet ridicule, mais triste.
Un chef d’œuvre éblouissant de noirceur.