Fellini avait décrit son sublime "Casanova" comme une transposition de "La Dolce Vita" au XVIIIème siècle. On peut sans doute voir "Satyricon" de la même façon : "La Dolce Vita" transposée dans l'Antiquité romaine. Après tout, qu'importe l'époque : ces sociétés renfermées sur elles-mêmes, livrées à une futile recherche du plaisir - ou plutôt à une fuite de l'Ennui - que nous dépeint le Maestro dans ces trois films ont beau être situées dans trois contextes historiques différents, elles restent les mêmes. Faisant fi de tout discours politique, Fellini s'en prend directement à la nature humaine et en fait une satire des plus amères.
Une fois de plus, le réalisateur utilise la même structure narrative, qui caractérise si bien son oeuvre : c'est-à-dire une structure quasi-inexistante, éclatée, où chaque scène semble perdue dans un chaos narritif, et dont la grandiloquence serait comme une négation désespérée de l'insignifiance des êtres qui s'y meuvent. On y suit - entre autres - les divagations du jeune citoyen romain Encolpe recherchant, à l'instar du monde qui l'entoure, la jouissance par tous les moyens. Le film n'aboutira toutefois à rien, ne débouchant sur aucune finalité - du moins dans le sens classique du terme.
Car la conclusion présente un intérêt majeur pour une éventuelle lecture du film : il s'agit d'une "simple" séance de cannibalisme (on notera que cette scène ne surprendra pas tellement, après tout ce que le spectateur aura vu avant ...), qui renvoie une fois de plus inévitablement à cette recherche du plaisir : recherche qui mènera finalement à une véritable réïfication de l'Autre, au simple désir de posséder. Cette basesse, ce niveau d'humanité proche de zéro - pour qui toutefois continue de croire un tant soit peu en l'Homme - fait encore une fois ressortir la vision pessimiste qu'a le cinéaste de la nature humaine (Pasolini ira encore plus loin dans cette optique, réalisant le film ultime sur le sujet).
Visuellement, "Satyricon" reste sans doute l'opus fellinien qui, par ses excès géniaux et ses plans d'une ampleur parfois picturale, impressionne le plus. Il est également intéressant de constater que quand le cinéaste filme la Rome antique, elle est déjà en ruines ; comme si tout le spectacle grotesque et stupéfiant livré au regard du spectateur hantait encore aujourd'hui ses décombres - conférant presque au film une dimension spectrale.