Retour de flammes
C’est bien connu, on ne joue pas avec le feu. Pour un pompier, ce qui compte c’est de savoir à quoi s’en tenir et de faire son possible pour limiter les risques. Alors, on entretient un physique...
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le 25 nov. 2018
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"La Chambre du Sapeur-Pompier" était mon deuxième choix pour le titre de cette critique, tant le parallèle avec La Chambre des Officiers de François Dupeyron, sorti en 2001, n'a cessé de me trotter dans la tête tout le long de mon visionnage de ce Sauver ou Périr signé Frédéric Tellier.
SOP n'a cependant rien à voir avec la Première Guerre Mondiale, puisqu'il s'agit de l'histoire, contemporaine et fictive mais forcément basée sur une réalité vécue par beaucoup et risquée par tous, de Franck Pasquier, jeune sapeur-pompier de Paris, le titre du film étant basée sur la devise de cette unité. La vie de Franck et celle de ses proches, notamment son épouse Cécile et leurs deux petites filles jumelles, va basculer suite à une intervention sur l'incendie d'un entrepôt, dont le jeune homme va ressortir brûlé à 90%. Cet incident marque le début d'un long et terrible travail de reconstruction et d'acceptation, pour lui-même et tous ceux autour de lui.
Le sujet de départ est donc le même, l'aspect historique ayant été sacrifié pour la proximité spatio-temporelle. Le traitement se rejoint parfois également (la maman qui craque, le rejet puis la réconciliation avec le meilleur ami "intact", le salut par l'auto-dérision...) mais dans l'ensemble diffère beaucoup, à l'avantage, je dois dire, du film de Tellier.
La principale différence, de fond comme de forme, c'est que SOP n'est pas à sens unique : il ne s'agit pas à proprement parler d'un hui-clos centré sur l'expérience du grand blessé, mais plutôt d'une fresque dépeignant les turpitudes de son univers proche. L'égalité de traitement entre Franck et Cécile est à ce titre l'un des points forts du film : le premier doit se reconstruire et se réinventer, mais la seconde doit elle aussi s'adapter à ce changement et aux souffrances qu'il engendre sur elles-mêmes. Le héros de LCDO il y a dix-huit ans était certes brisé et défiguré, mais le monde autour de lui se faisait roc pour le soutenir, notamment sa sœur, son médecin et son infirmière. L'entourage de Franck dans SOP n'est pas moins dévoué, mais beaucoup plus faillible et vulnérable, y compris son docteur. "Dans votre regard je vous vois tout entier" disait à l'époque le personnage de Sabine Azéma ; Cécile est loin de ce cliché, puisqu'elle en vient à questionner son amour pour son mari, un homme qu'elle aimait aussi pour son physique - comme dans tous les couples. À cet égard, je trouve SOP beaucoup plus réaliste et brut de décoffrage dans sa manière d'aborder cette thématique centrale.
Scénario original, le long-métrage de Tellier n'est en outre pas encombré par les effets secondaires de l'adaptation du roman de Marc Dugain, tels que la voix-off un peu balourde du narrateur. De fait, SOP est plastiquement quasi-irréprochable, de nature à me donner envie de me pencher sur le reste de la filmographie de monsieur Tellier !
Le film commence sous des auspices très "documentaires" à la française (caméra rapprochée, montage assez sec, absence de bande-son) qui m'ont légèrement mis sur la défensive durant la première demi-heure, mais le sujet était suffisamment intéressant en lui-même pour retenir mon attention pleine et entière, à savoir le quotidien d'un sapeur-pompier de Paris, entre entraînement physique permanent, déploiement en tous genres (assistance aux personnes âgées, sauvetage d'une SDF en coma éthylique, recueil des restes d'un suicidé dans une rame de métro...) et vie de caserne. D'ailleurs, le film a l'intelligence de ne pas embellir outre-mesure une vie familiale et professionnelle certes heureuse mais pas totalement épanouie puisqu'elle coupe l'herbe sous les pieds du couple et de ses désirs de maison, ce qu'illustre bien la photographie assez sombre qui prévaut dans les scènes d'intérieur.
SOP passe à la vitesse supérieure, à tous les niveaux, avec la séquence de l'incendie. Je tiens à féliciter toutes les personnes impliquées dans le tournage de cette scène, cascadeurs, acteurs, pyrotechniciens, caméramans, car elle est d'autant plus prenante et terrifiante qu'aucun effet numérique n'a apparemment été employé : ce que nous voyons à l'écran est aussi proche de la réalité que faire se peut. Le résultat est saisissant.
Puis la lente, longue et douloureuse convalescence de Franck commence, et là encore le film s'adapte - en douceur, cette fois-ci - à la nouvelle réalité des personnages. Il y a des plans vraiment magnifiques durant le séjour de Franck à l'hôpital, mais aussi dérangeants comme lorsqu'il "demande" à sa femme de se déshabiller devant lui. Sa soudaine fascination morbide pour les personnages grotesques des tableaux d'Ensor, en lesquels il vient à s'identifier, est également bien vue. La musique fait soudain son apparition, généralement à bon escient bien qu'elle vienne parfois alourdir des scènes déjà assez "hollywoodiennes" vers la fin du film.
Je n'ai pas encore évoqué le casting, mais... la classe, quoi. Jusqu'alors je pensais de Pierre Niney qu'il était une sorte de version française et masculine de Keira Knightley : bon dans les films en costumes, et c'est tout. Je me trompais sur toute la ligne. Sa prestation est remarquable, passant tout particulièrement à travers ses grands yeux expressifs, et lui vaudra sans aucun doute le César du Meilleur Acteur, bien mérité. Je ne serais d'ailleurs pas surpris que le film fasse coup double car Anaïs Dumoustier est elle aussi magnifique de force, de vulnérabilité et de dignité blessée. Toute l'équipe secondaire est impeccable, mention spéciale à Chloé Stefani en jeune infirmière patiente et chaleureuse et à Sami Bouajila qui vient apporter son inamovible élégance et son imperturbable retenue au docteur.
Comme je le disais, le film donne l'impression de s'essouffler un peu vers la fin, ce qui se traduit par un recours à certaines grosses ficelles et un "happy ending" qui, s'il fait du bien tant nous nous sommes investis dans ces personnages attachants, ne m'a pas totalement convaincu. Je ne dis pas que le bonheur familial est impossible pour un grand brûlé, bien au contraire, mais je ne peux m'empêcher de penser qu'il y avait plus original à faire, même si la pilule aurait été plus dure à avaler. Mais bon, je suis probablement plus pessimiste que la moyenne... enfin tout de même, pour le coup LCDO avait réussi à faire mieux, avec une fin plaisante mais moins définitive, ouvrant davantage de possibilité à l'imagination du spectateur.
Petite parenthèse, soit dit en passant : Sauver ou Périr n'aurait-il pas été encore plus intéressant si les rôles avaient été inversés - si Franck avait été une femme ? Le rapport au corps n'étant souvent pas le même selon qu'on soit homme ou femme, sans parler des contraintes sociales, cela aurait pu donner une double voire triple thématique encore plus passionnante.
Mais je ne vais pas pinailler pour si peu, car ce que nous ont offert Frédéric Tellier et toute son équipe, c'est un drame magnifique et traité avec beaucoup de pudeur et de sensibilité, l'un des films les plus durs mais aussi les plus touchants que j'ai pu voir ces derniers temps.
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Créée
le 21 avr. 2019
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