20 ans après, je vois Saw pour la première fois. En 2004, j'avais 12 ans. Saw, c'était typiquement le film qui a cette époque, à côté de Battle Royale et autres, faisait parler dans la cour de récré du collège. C'était le film que les plus courageux avaient vus, celui que tes parents t'interdisaient, le film, l'un des films, de l'interdit. Non, le phénomène des gamins qui accèdent à des contenus pas pour eux ne date pas des réseaux sociaux, ça existe depuis que les contenus pas pour les enfants existent et vous êtes sensés tous le savoir à moins d'être au choix amnésique ou défaillant de la mémoire à long terme. Ou alors vous êtes de sacrés hypocrites. Comme aujourd'hui, selon tes fréquentations, le contrôle de tes parents sur ta vie et ta capacité à t'en extraire, tu pouvais être de ceux qui l'avaient vu, ou non.
Forcément dans ce contexte, de film on passe vite à semi légende urbaine. Évidemment une histoire de gore, l'aspect thriller et enquête policière ayant peu d’intérêt dans le storytelling de l'adolescent en recherche de popularité auprès de ses petits camarades. Le film était vite résumé à une seule et unique scène :
La scène ou il se coupe le pied.
^ Spoiler qui n'en est probablement pas un si vous n'avez pas vu le film mais que vous aussi vous étiez au collège entre 2004 et 2008.
Je ne l'avais donc jamais vu. Déjà parce que je n'avais pas pu/voulu y avoir accès à l'époque, ensuite parce que ma mémoire ayant fait le taf', le film m'inspirait une terreur et un dégoût qu'aucun film ne peut en vérité atteindre (bon, y en à quelques uns que j'ai pas encore vu qui me font douter de cette affirmation). Et puis j'ai vu suffisamment de films d'horreur entre temps pour comprendre que c'est jamais aussi terrible sur la toile que ça ne l'est dans l'idée que notre esprit fabrique. Mais j'ai continué à ne pas voir Saw parce qu'il a une réputation de film de merde réac' et putassier (avec tout le torture porn dans son sillage), commercial et inintéressant. Un peu comme une production Marvel/Disney/DC version horreur et tripes ensanglantées. Ce qui n'est pas aidé par le fait que tout ce qui est produit par James Wan est considéré par certains élitistes de l'horreur comme cela, de la daube commerciale. Et moi les élitistes, je les écoute quand même un peu, je préfère ça que de gober toute la bouillasse prémâchée que la machine commerciale formatée du cinéma américain ou pire (ou moins pire, je ne sais plus), des plateformes de streaming, peut nous faire bouffer.
Sauf que là Mad Movies a fait tout un dossier sur James Wan et qu'à l'élitisme, je préfère quand même une ouverture renseignée. Du coup, j'ai décidé de mater la saga Saw pour me faire "mon propre avis" comme disent les gens qui ont soit beaucoup de temps, soit un poil de flemme intellectuelle, soit une fermeture d'esprit.
Je n'ai pas encore vu le court-métrage ayant initié le bouzin au moment de l'écriture de cette chronique. J'ai vu les deux premiers long métrages. Allons-y pour la critique de ce premier Saw.
Je m'attendais soit à effectivement un truc naze soit à une bonne surprise malgré les rageux. J'avais complètement oublié cette fois où j'avais appris que c'était avant tout un thriller et pas encore du torture porn bien dégueu. Du coup, j'ai été surpris mais c'était quand même naze.
Le gore est vraiment en retrait par rapport à l'idée que je me pouvais m'en faire. Par contre, niveau dégueulasse et poisseux, on est là. Ça se passe dans des sortes de toilettes publiques (avec une baignoire pour la forme) et ça dégouline de crasse. Oui, y a du caca. Les murs suintent. Survivre à la pièce principale du film c'est quand même choper une bonne gastro voire le choléra. C'est surement l'aspect le plus réussi du film (le seul ?), c'est dégueu.
On a donc deux hommes, un chirurgien et un jeune homme plutôt mystérieux mais clairement craintif, non-maître de lui même et pathétique, menottés par la cheville à des tuyaux dégueulasses dans une salle de bain / toilette publique dégueulasse. Au milieu de la pièce, un cadavre dégueulasse gît dans une mare de sang dégueulasse, sur un sol dégueulasse, à côté d'un revolver relativement propre, étrangement.
Une cassette et un lecteur de cassette. Sur celle-ci une voix, la voix de Jigsaw, tueur au puzzle, informant le médecin que pour sortir de là et sauver la vie de sa femme et de sa fille, que le tueur connaît, il doit tuer Adam. Adam, lui, doit survivre à ce prédicat.
Le film aurait pu s'arrêter à ce huit-clos mais décide de ne pas le faire, couplant cette intrigue avec une enquête policière. Nos deux comparses ne sont pas la première victime du tueur au puzzle. Il y a donc 3 types de dimensions spatiotemporelles dans le film. La première : les toilettes du puzzle. La seconde : L'enquête policière et sa suite/conclusion. La troisième : une chiée de flashbacks. En mode Lost, on va explorer la vie passée de nos deux protagonistes. Les raisons du pourquoi ce sont eux qui se retrouvent dans cette situation. Et une tentative de faire de cette situation une fable morale sur l'importance que l'on porte à sa propre vie.
Montage non chronologique, fable morale, puzzle psychologique. Les 3 éléments constituants Saw. 3 ratages.
Mais avant, la réalisation. Niveau mise en scène, c'est très plat. Quelques idées de plans ça et là mais globalement c'est très descriptif, on nous montre juste ce dont a besoin pour faire avancer l'histoire. On a pas vraiment d'effort de fait pour utiliser l'espace d'une manière intéressante. Pas non plus grand chose pour qu'une unique pièce ne soit pas trop monotone à regarder. C'est pas 12 Hommes en Colère quoi. Du coup, les plans dans la salle de bain sont chiants à regarder. Mais restent les plus intéressants du film car le reste de la réalisation est tout aussi feignante sauf qu'il y à beaucoup d'éléments à l'écran dans le reste du film, rendant le tout assez brouillon et chargé et moche, purement fonctionnel au fil des besoins de la narration. Pas grand chose à dire de plus, il n'y a pas non plus de faux pas flagrant de réalisation (à part que c'est moche et téléfilmesque mais peut on dire qu'une absence de mise en scène et un faux pas de mise en scène ? Vous avez 4 heures) c'est juste meh... boooring. La seule scène qui sort du lot est celle du flashback d'Adam. James Wan sait utiliser un espace plus ou moins exigu et plongé dans l'ombre pour créer une tension, comme dans les meilleurs films de peur utilisant ces effets. Un savoir faire que j’attends de voir confirmé (ou pas, on verra mais j'ai espoir) dans ses réalisations suivantes mais je m'égare. C'est peut être la seule scène ou il y a quelque chose qui fonctionne c'est à dire générer de la peur.
En fait tous les idées de style du film repose sur son montage. Quelques passages épileptiques constituent les tentatives stylistiques de Saw. C'est clipesque, bien dans son époque (les années 2000) mais pénible à voir aujourd'hui. Un truc qui a aussi mal vieilli que les images de synthèse de la même époque, tiens. Du coup, ce qui est une tentative de style ne devient pas un point notable intéressant, c'est juste un handicap. Sur l'aspect non chronologique, ça n'a pas grand intérêt ici à part amener tel ou tel élément en fonction des besoins de la narration, vraiment du narrativo-fonctionnel, je ne suis pas étonné que James Wan soit si en vogue à notre époque plateformesque pour le coup (époque ou sous l'influence des séries, le scénario ou plutôt l'histoire prend le dessus sur toute idée esthétique, il faut qu'il y ait de la matière à produire des suites ou provoquer des discussions sur les réseaux). Il est probable que le film essaye de s'en servir pour amener les twists et les "révélations" sur ses personnages. Sauf que c'est assez attendu et surtout les révélations sont bateaux. Ce n'est également pas très bien joué. Après, j'ai vu le film en VF (seule version proposée par le service Apple TV, ce que j'ai vu après avoir loué le métrage) ce qui n'aide probablement pas à croire aux personnages.
Parlons de Tapp, joué par Donald Glover. On perçoit bien l'archétype que James Wan tente d'utiliser dans l'évolution du personnage. Mais en dehors de l'intention il n'y a rien, on y croit pas une seule seconde. J'ai vu ce que t'as essayé de faire James mais c'est loupé. Possible que de revoir le film en VO me rende un peu moins critique sur ce point. J'ai vraiment du mal avec la VF de manière générale. Ici la synchro labiale était bien foutue mais avoir toujours les mêmes voix pour le même archétype de perso (voix ici bien forcée en plus jusqu'à la caricature) c'est beaucoup moins crédible qu'une voix différente par acteur en gros. Et l'enregistrement du doublage en studio limite les nuances d'un jeu en prise de son sur plateau. Ou alors j'ai peut être juste perdu l'habitude. Je m'égare beaucoup là...
Quand à la fable morale, c'est dans le même ordre d'idée que les flashbacks sus-cités. Ça tombe plat. J'ai lu que les suites des Saw prenaient un virage réactionnaire mais c'est déjà le cas ici. Jigsaw n'aime pas les gens parce que quand même la société aujourd'hui, hein, j'ai pas raison la team ? Alors hop petite expérience de Darwinisme social fascistoïde, tuer ou être tué, sois un mâle alpha Dr. Gordon pour sauver ta compagne et ta descendance, on parle de ta virilité et de tes gênes, quand même (j'extrapole un peu, d'accord.) ! Autre interprétation/dimension (le deuxième film nous montrera que c'est les deux en même temps) :
le film essaye de nous donner de l'empathie pour Jigsaw par rapport à ses raisons, il en serait presque un personnage positif, voulant faire aimer la vie à ses victimes pour les sauver d'une apathie générale (ça reste dans le giron mascu/survivaliste/archéoréac du "avant on était dans la savane contre des lions alors qu'aujourd'hui on est trop confortables donc on a perdu nos valeurs blablabla", cependant).
Dans les deux cas, ça ne marche pas ici. C'est trop peu exploré, trop dit au lieu d'être montré (show don't tell, you know), en plus c'est dit par bribes sur un magnétophone, bref. C'est aussi clairement un prétexte à la situation, le film étant une extension d'un court métrage à la base, le cœur du film est le dilemme morbido-psychologique du duo de protagonistes. Il aurait peut être été plus avisé d'en rester à celui-ci.
Les suites exploreront plus le personnage de Jigsaw. En tout cas de ce que j'ai lu et de ce que j'ai vu (le deuxième épisode). Prenons de l'avance, contre l'avis général je trouve le deuxième film plus réussi. Il n'y a aucun des défauts de Saw II que le premier ne possède pas voire Saw II les atténue. L'évolution du personnage de Jigsaw est plus claire dans le II. Plus claire au point qu'on pourrait lui reprocher d'être trop bavard (Show Don't Tell remember ?) mais c'est tellement raté dans le premier film (ni subtil ni compréhensible et pas même cryptique pour une bonne raison ou un bon effet), on prend ce qu'on nous donne (encore moins subtil mais au moins c'est clair). Autant ne pas essayer de la jouer subtil si on en est pas capables. Autant ne pas essayer de développer des personnages si c'est pour les développements soient aussi nuls. Saw II est aussi con que le premier mais assume plus un côté pop-corn (l'évolution vers le torture porn) et ne fait pas semblant d'être intelligent. C'est plus honnête quelque part. Bref, si Saw II peut être un plaisir coupable, Saw I est un déplaisir vantard (j'ai pas trouvé mieux pour la symétrie de cette phase, y'à pas que James Wan qui rate ses effets).
Point positif : le twist final fonctionne. Mais après 1h40 d'ennui et suite à une scène versant dans le grand-guignolesque pas crédible (la fameuse scène "culte"), il appelle plutôt à un grand éclat de rire moqueur qu'à un silence bouche-bée.
La suite au prochain épisode.
Ah oui et puis y a une marionnette sur un vélo. Fallait une mascotte pour les trailers (et James aime bien les poupées maléfiques).