Une énigme macabre aux relents d'agonie
Je conçois que l'on puisse détester SAW, pour des raisons tout à fait valables.
Personnellement, j'adore, et pour des raisons tout aussi valables.
La première chose à prendre en compte, si l'on veut considérer le film avec un minimum de profondeur, est le budget avec lequel il a été tourné : 1,2 millions de dollars, en tout et pour tout. Je ris jaune en songeant à ce chiffre, car alors que le budget pour la franchise n'a cesser d'augmenter (4 millions pour SAW 2, 12 millions pour SAW 3...), la qualité s'est amoindrie, au point de transformer ses énièmes suites en navets difficilement défendables...
Doit-on pourtant faire l'éloge des films faits avec des bouts de ficelle ?
De nombreux essais semblent le confirmer : de REC au projet blairwitch, en passant par Evil Dead, des films ont su avoir une grande reconnaissance publique, et sont rentrés dans les bonnes grâces d'un nombre appréciable de critiques. Cependant, un tel exploit requiert un cocktail d'ingrédients : une idée originale ou particulièrement bien exploitée, des acteurs concernés, une maîtrise technique parfaite... Et la chance d'être plébiscité par un bouche à oreille vigoureux.
A mes yeux, SAW réunit tous ces aspects.
Le film n'a pu être tourné, suite au budget limité, que durant 18 jours, délai ridicule en comparaison du temps que prennent des films de moindre gabarit pour être finalisés. Des scènes ont dû même être tournées en catastrophe pour le montage final. Selon moi, une production aussi courte et chaotique laissait une marge de manoeuvre infime à James Wan, qui n'avait pas le droit à l'erreur. Pourtant, il est parvenu à nous pondre des scènes d'anthologie, comme celle de l'appartement d'Adam : il est forcé de s'éclairer par des flashs de son appareil, tout en étant douloureusement conscient de la présence d'un intrus, dont l'apparition est réellement effrayante. Tous les plans de ce films respirent la maîtrise et les bonnes idées, et le réalisateur a de quoi être fier de ce qu'il a accomplit avec si peu.
Les acteurs sont dedans, et ça se sent. Habitant leur personnage, ils leur donnent une incroyable consistance : la chute vers la folie de Lawrence, la peur d'Alison, le côté mou et geignard d'Adam... Tout sonne avec justesse. Les seconds rôles ne sont pas en reste : en nombre idéal, ils sont assez nombreux pour nourrir l'intrigue, et la réduction du casting pour des raisons budgétaires donnent un aspect intimiste au film, dont l'atmosphère quasi-claustrophobe se trouve renforcée (après, question de point de vue). Mention spéciale aux doublages français, particulièrement celui de la voix de Jigsaw.
Enfin, je ne vais pas parler de l'idée, mais plutôt de la façon dont elle est traitée. La manière dont le tueur au puzzle joue sur l'ambiguïté des situations où il pousse ses victimes est brillament mise en scène, de la même façon que les "puzzles" eux-mêmes. Tout est calculé pour un naufrage vers la folie où le suicide : même si Alison parvient miraculeusement à s'en sortir indemne, on sent qu'elle a laissé dans l'épreuve une part de son humanité et de sa raison. Et mon dieu, ce twist final... De toute mon expérience de spectateur, je n'ai encore jamais vu un film qui l'égale sur ce point, et c'est ce qui explique une telle note.
A mes yeux, le film regorge tant d'idées de génies qu'il en devient lui-même l'oeuvre d'un génie. Alors oui c'est dérangeant, oui ça fait peur, oui c'est gore, mais c'est à des années lumières de l'arrachage de trippes outrancier auquel se livre ses suites. C'est un thriller merveilleusement mis en scène, qui se regarde sans retenue et mérite un immense respect.
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