Énième exemple de l'effet schizophrénique suscité par un effort de contextualisation : on imagine sans peine les intentions louables d'un tel film, travaillant une veine progressiste pour rendre acceptable à l'époque le mariage entre Américains et Japonais, mais d'un point de vue purement narratif, le déroulé des événements a un peu mal vieilli et rend les 2h30 un peu longues. Comment on se positionne, dans cette histoire ?
Je garde un certain attachement pour le charme désuet de ce genre de production, donc je me place plutôt du côté positif. Le film se concentre assez vite sur deux relations amoureuses interdites, avec Marlon Brando qui s'entiche d'une actrice célèbre alors qu'un ami à lui l'initie aux us et coutumes locaux. Sa progression morale, de la bidasse vaguement intolérante et raciste à l'amateur de la culture japonaise frise le stéréotype, mais on se laisse tout de même doucement bercer par ce schéma déjà vu cent fois. C'est le rôle de Brando qui porte en son sein le message de tolérance à travers les "races" (ie. les couleurs de peau).
Ceci étant dit, on a droit à de jolies caricatures de la femme japonaise, docile, aimable, serviable et corvéable à souhait, bonne aussi bien pour faire à manger que pour préparer le saké. La peinture de l'état d'esprit de l'ami de Brando est plutôt drôle à ce sujet, car en voulant matérialiser de bonnes intentions sur son attrait pour la culture japonaise, on ne peut que constater sa joie de se retrouver nourri, logé et blanchi par sa dulcinée, aux petits soins du matin au soir. Pas de procès anachronique, mais il y a de quoi sourire. Le film est tout aussi maladroit quand il cherche à affirmer que l'homme occidental aime la femme japonaise telle qu'elle est, sans qu'elle ait recours à de la chirurgie esthétique pour "s'occidentaliser". On rit aussi devant le choix totalement incongru d'un acteur mexicain pour interpréter un acteur japonais de kabuki... soit disant parce que la production n'avait pas réussi à trouver un acteur japonais parlant suffisamment bien l'anglais. Le résultat n'en reste pas moins ridicule, à tel point qu'on met un moment à comprendre qu'il s'agit bien d'une personnage japonais et non pas d'un occidental.
"Sayonara" a le mérite d'introduire des éléments de contexte historique, à une époque (le début des années 50) où des dizaines de milliers de soldats américains se mariaient avec des Japonaises contre l'avis du corps militaire. La loi pliera devant l'incapacité de décourager ces mariages. Le contenu dramatique paraît très daté vu d'aujourd'hui, mais il conserve une part non-négligeable de sincérité. On pense au "M. Butterfly" de Cronenberg, sur le thème de l'amour interdit, d'autant plus qu'il est ici aussi question de milieux exclusivement masculin d'un côté et féminin de l'autre — sans pour autant évoquer une quelconque relation homosexuelle ici. L'émancipation du pilote de l'U.S. Air Force, en s'ouvrant à une culture étrangère, en prenant goût à des coutumes exotiques, en travaillant un certain côté raffiné, conduit à une élévation au-dessus des barrières sociales de son époque aussi naïve que touchante.