Sceptique à son égard, le visionnage de Scarface n’aura en rien dissipé mon a priori : pour un film de cet acabit, affublé d’une aura culte en guise de piqûre de rappel, j’aurais frisé la douche froide tant il s’agit là d’un beau pétard mouillé. Étranger au long-métrage éponyme d’Howard Hawks, ce remake réactualisé à la faveur de l’exode de Mariel avait pourtant de sacrés atouts pour briller et, chose peu aisée, se faire une place auprès des mastodontes du genre « gangster » : Al Pacino dans le rôle-titre, Brian de Palma à la caméra et Oliver Stone au scénario ; excusez du peu.
Quand bien même l’on éviterait de malvenues comparaisons, l’envergure rabougrie d’un Scarface ne peut que prêter à la grimace pour qui a vécu le règne de Michael Corleone : tel le prisme cristallisant une pléiade de points noirs, la figure de Tony Montana atteste des limites d’un récit prévisible de bout en bout. La faute à une personnalité des plus lisses, le seul argument de la réussite à tout prix, à l’aune d’un insidieux American Dream, ne pouvant justifier à lui-seul la fureur tonitruante d’une telle ascension : violent, machiste et grossier à outrance, la cruelle absence de relief apportée à ce petit malfrat cubain devenu Roi rend ainsi compte d’une personnalité détestable.
Nulle once d’empathie donc, quand bien même celui-ci se découvrirait soudainement un code moral (attentat de New-York, grosse circonspection à cet instant), et bien entendu à l’orée de son inéluctable chute : cousu de fil blanc, le scénario n’est pas en mesure de nuancer les actions de son rôle-titre, et encore moins de surprendre. Pis encore, l’incohérence d’une bien transparente Elvira accentue à n’en plus finir cette impression de simulacre pataud : campée par une Michelle Pfeiffer pourtant concernée, d’ailleurs à l’image d’un Al Pacino convaincant à défaut d’être mémorable, son personnage s’avère être d’une idiotie flagrante à mesure que la belle ne succombe aux « charmes » d’un Tony tenace.
Pour le reste, la galerie n’est pas d’un grand réconfort : ce bon vieux Manny va se démener en vain afin d’apporter un semblant de sympathie à son comparse borné, Gina n’est là que pour instaurer un ersatz de drame familial, le tandem Lopez / Sosa se passera le relais en termes d’antagonistes convenus... et ainsi de suite. À l’échelle du récit dans sa globalité, Scarface accumule donc trop de maladresses et autres facilités (dont l’usage de la violence) pour véritablement briller de par son fond, malgré tout tangible : portant un regard sans concession sur les malversations d’une quête individualiste, associée d’une sacrée résultante destructrice, son intrigue possédait les armes afin de s’extirper du seul carcan « gangster » au profit d’une plongée en enfer captivante... car notamment assortie d’un contexte socioculturel prégnant.
Mais dans la droite lignée d’un fond trop peu subtil, la patte formelle de Scarface échoue dans les grandes largeurs à rehausser le tout : en termes de mise en scène d’abord, la faute à des séquences d’action d’une platitude effarante, mais surtout en raison d’une atmosphère nullement captivante. Il faut dire que Giorgio Moroder, compositeur de la BO du long-métrage, aura eu la main lourde sur ce kitsch si spécifique aux 80s, chose se corrélant à merveille avec l’imagerie prodiguée par De Palma : point d’epicness ni de tension au sein de cette piètre tentative de mise sur pied d’une icône foutraque, chose illustrée avec la manière au sein de la fameuse fusillade finale... sérieusement, tant de mauvais goût, on touche au ridicule !
Bref, Scarface n’est rien de moins qu’un mauvais film de gangster, ses prétentions outrancières l’emportant sur tout ce qui en faisait la sève : sous couvert d’un casting aux petits oignons, la toile de fond sociétale, auréolée d’une vision grinçante quant à la démesure de l’ambition personnelle, méritait mieux qu’un tel traitement. C’en est regrettable.