"Le cinéma, c'est vingt-quatre fois la vérité par seconde" - JLG

Peu de cinéastes peuvent se vanter d’avoir contribué à la grandeur du cinéma en passant par le média télévisuel. Suivant l’exemple de Maurice Pialat et sa Maison des bois, le réalisateur du Septième Sceau, alors dans une apogée artistique, entreprend le récit d’un couple, conté à travers une véritable fresque permise par le format série. Scènes de la vie conjugale demeure avant toute une œuvre pensée comme un « très long-métrage » de cinq heures. Synthétisé dans un montage plus court pour une version cinéma (c’est par ailleurs cette version qui nous intéresse présentement), le film a de quoi demeurer encore aujourd’hui une des plus belles histoires de couple contée au cinéma.

Scènes de la vie conjugale, c’est avant tout une tête d’affiche, ces amants au centre du récit, Marianne et Johan. D’un côté, la sublime Liv Ullmann, véritable muse de Bergman : une actrice belle comme on en fait plus, une actrice pleine de vie. De l’autre, Erland Josephson, lui aussi collaborateur de longue date avec Bergman, acteur au physique du quotidien, mais cultivant un sincère charisme dans le fond. Le réalisateur sait où il met les pieds : l’alchimie entre les deux comédiens est d’une rare intensité. A partir de là, Scènes de la vie conjugale expose naturellement ses qualité de grand film.

Les amours cinématographiques ne sont jamais plus beaux que lorsque l’on sait, du moins que l’on devine, qu’ils ne sont qu’éphémères. Parenthèse d’actualité, c’est une efficacité de dispositif que l’on a encore récemment retrouvé dans La Vie d’Adèle d’Abdelatif Kechiche. On peut aisément deviner que l’un doit beaucoup à l’autre. Cela dit, bien plus rapidement, Scènes de la vie conjugale expose ses personnages : Marianne aime Johan, Johan aime Marianne.

Le récit du couple s’étale telle une chronique, sur plusieurs années réparties au sein de différents actes (représentant les épisodes dans la version télé). Le regard du cinéaste est un vrai paradoxe : si l’on sent le chef-d’orchestre toujours aux commandes, toute sa captation se fait avec une pudeur extrême, une discrétion constante qui ne se permet que quelques moments précis de voyeurisme. Le sentiment que l’on finit par partager avec Bergman se retrouve rapidement intense. Il en va parfois jusqu’à naître l’envie d’interagir avec le couple. Non sans une certaine pudeur, on se sent, à d’autres fois, concerné soi-même par les évènements : Bergman touche le vrai.

La confiance qu’il installe entre lui et ses acteurs ou encore avec son spectateur permet une significative élaboration des séquences, ou même des plans, qui prennent le temps de s’exprime, affranchis des craintes qu’un autre réalisateur aurait pu avoir, sûrement plus enclin à avoir davantage recours au montage. Un ressenti évidemment d’autant plus fort dans le montage télévisuel de l’œuvre, plus long. L’auteur d’Au seuil de la vie connait les limites de son canon cinématographique et ne tombe jamais dans l’excès, tant celui de la froideur que celui du pathos. Le nécessaire est exprimé, les facettes moins subtiles du récit sont esquissées, habilement, par le non-dit.

Le constat lui-même est complexe, tant la relation navigue entre des moments d’une rare pureté et d’autres laissant un goût d’amertume concernant le couple. Comment échapper à l’ultimatum de la tristesse ?, questionne finalement le métrage. La simplicité et l’universalisme du traitement du metteur en scène suédois permettent non seulement de franchir la barrière de la culture, de la langue, mais aussi celle du temps : ce « vrai » des sentiments est encore, fort heureusement, d’actualité. Chaque nouveau visionnage ne fait pas dépérir la surprise. On s’interroge de nouveau sur ces interrogations pourtant très simples, aux réponses vraisemblablement aussi inquiétantes qu’infinies.

Cultivant la continuité de son regard sur la psychologie humaine, Bergman retrouve par ailleurs le couple, trente ans plus tard, dans le magnifique Saraband. Un dispositif de réflexion cinématographique trop peu utilisé par les cinéastes, permettant pourtant plus que jamais de poursuivre ses questionnements sur la nature humaine, ou celle de l’amour, et d’offrir une proposition à ce sujet qui, quoi qu’il arrive, ne peut laisser indifférent.

Jean-Luc Godard disait « Le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde » ; si les contre-exemples sont légions, l’illustration est ici parfaite. N’ayons pas peur, parlons chef-d’œuvre.

La critique sur Cineheroes : http://www.cineheroes.net/flashback-scenes-de-la-vie-conjugale-de-ingmar-bergman-1973

Créée

le 11 mars 2014

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Lt Schaffer

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